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tout haut devant Brigitte. Sortions-nous pour une promenade : — Cette robe est jolie, lui disais-je ; telle fille de mes amies en a, je crois, une pareille. Étions-nous à table : — Allons, ma chère, mon ancienne maîtresse chantait sa chanson au dessert ; il convient que vous l’imitiez. Se mettait-elle au piano : — Ah ! de grâce, jouez-moi donc la valse qui était de mode l’hiver passé ; cela me rappelle le bon temps.

Lecteur, cela dura six mois ; pendant six mois entiers, Brigitte, calomniée, exposée aux insultes du monde, eut à essuyer de ma part tous les dédains et toutes les injures qu’un libertin colère et cruel peut prodiguer à la fille qu’il paye.

Au sortir de ces scènes affreuses, où mon esprit s’épuisait en tortures et déchirait mon propre cœur, tour à tour accusant et raillant, mais toujours avide de souffrir et de revenir au passé, au sortir de là, un amour étrange, une exaltation poussée jusqu’à l’excès, me faisait traiter ma maîtresse comme une idole, comme une divinité. Un quart d’heure après l’avoir insultée, j’étais à genoux ; dès que je n’accusais plus, je demandais pardon ; dès que je ne raillais plus, je pleurais. Alors un délire inouï, une fièvre de bonheur s’emparait de moi ; je me montrais navré de joie ; je perdais presque la raison par la violence de mes transports ; je ne savais que dire, que faire, qu’imaginer pour réparer le mal que j’avais fait. Je prenais Brigitte dans mes bras, et je lui faisais répéter cent fois, mille