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d’elle comme d’une femme qui avait perdu tout respect humain, et qui devait s’attirer justement d’inévitables et affreux malheurs.

J’avais dit à Brigitte que mon avis était de laisser jaser, et je ne voulais pas paraître me soucier de ces propos ; mais la vérité est qu’ils me devenaient insupportables. Je sortais quelquefois exprès, et j’allais faire des visites dans les environs, pour tâcher d’entendre un mot positif que j’eusse pu regarder comme une insulte, afin d’en demander raison. J’écoutais avec intention tout ce qui se disait à voix basse dans un salon où je me trouvais ; mais je ne pouvais rien saisir ; pour me déchirer à son aise, on attendait que je fusse parti. Je rentrais alors au logis, et je disais à Brigitte que tous ces contes n’étaient que des misères et qu’il fallait être fou pour s’en occuper ; qu’on parlerait de nous tant qu’on voudrait, et que je n’en voulais rien savoir.

N’étais-je point coupable au delà de toute expression ? Si Brigitte était imprudente, n’était-ce pas à moi de réfléchir et de l’avertir du danger ? Tout au contraire, je pris, pour ainsi dire, le parti du monde contre elle.

J’avais commencé par me montrer insouciant ; j’en vins bientôt à me montrer méchant. — Vraiment, disais-je à Brigitte, on dit du mal de vos excursions nocturnes. Êtes-vous bien sûre qu’on a tort ? Ne s’est-il rien passé dans les allées et dans les grottes de cette forêt romantique ? N’avez-vous jamais accepté, pour rentrer à la brune, le bras d’un inconnu, comme vous avez accepté