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mois. Je me croyais dans le cœur un trésor, et il n’en était sorti qu’un fiel amer, l’ombre d’un rêve, et le malheur d’une femme que j’adorais. Pour la première fois, je me trouvais réellement en face de moi-même ; Brigitte ne me reprochait rien ; elle voulait partir et ne le pouvait pas ; elle était prête à souffrir encore. Je me demandai tout à coup si je ne devais pas la quitter, si ce n’était pas à moi de la fuir et de la délivrer d’un fléau.

Je me levai, et, passant dans la chambre voisine, j’allai m’asseoir sur la malle de Brigitte. Là, j’appuyai mon front dans mes mains et demeurai comme anéanti. Je regardais autour de moi tous ces paquets à moitié faits, ces hardes étalées sur les meubles ; hélas ! je les connaissais toutes ; il y avait un peu de mon cœur après tout ce qui l’avait touchée. Je commençai à calculer tout le mal que j’avais causé, je revis passer ma chère Brigitte sous l’allée des tilleuls, son chevreau blanc courant après elle.

— Ô homme ! m’écriai-je, et de quel droit ? Qui te rend si osé que de venir ici et de mettre la main sur cette femme ? Qui a permis qu’on souffre pour toi ? Tu te peignes devant ton miroir, et t’en vas, fat, en bonne fortune chez ta maîtresse désolée ; tu te jettes sur les coussins où elle vient de prier pour toi et pour elle, et tu frappes doucement, d’un air dégagé, sur ces mains fluettes qui tremblent encore. Tu ne t’entends pas trop mal à exalter une pauvre tête, et tu pérores assez chau-