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et où tu railles si tristement jusqu’à nos épanchements les plus doux ? Quel empire avait donc pris sur tes nerfs irritables cette vie affreuse que tu as menée, pour que de pareilles injures flottent encore malgré toi sur tes lèvres ? Oui, malgré toi, car ton cœur est noble ; tu rougis toi-même de ce que tu fais ; tu m’aimes trop pour n’en pas souffrir, parce que tu vois que j’en souffre. Ah ! je te connais maintenant. La première fois que je t’ai vu ainsi, j’ai été prise d’une terreur dont rien ne peut te donner l’idée. J’ai cru que tu n’étais qu’un roué, que tu m’avais trompée à dessein par l’apparence d’un amour que tu n’éprouvais pas, et que je te voyais tel que tu étais véritablement. Ô mon ami ! j’ai pensé à la mort ; quelle nuit j’ai passée ! Tu ne connais pas ma vie ; tu ne sais pas que, moi qui te parle, je n’ai pas fait du monde une expérience plus douce que la tienne. Hélas ! elle est douce, la vie, mais c’est à ceux qui ne la connaissent pas.

Vous n’êtes pas, mon cher Octave, le premier homme que j’aie aimé. Il y a, au fond de mon cœur, une histoire fatale que je désire que vous sachiez. Mon père m’avait destinée, jeune encore, au fils unique d’un vieil ami. Ils étaient voisins de campagne, et possédaient deux petits domaines à peu près d’égale valeur. Les deux familles se voyaient tous les jours et vivaient pour ainsi dire ensemble. Mon père mourut ; il y avait longtemps que nous avions perdu ma mère. Je demeurai sous la garde de ma tante, que vous connaissez. Un voyage