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yeux pleins de larmes, et j’étais prêt à lui demander pardon, lorsqu’il lui échappa tout à coup quelques mots tellement amers que mon orgueil se révolta. Je lui répliquai sur le même ton, et notre querelle prit un caractère de violence. Je lui dis qu’il était ridicule que je ne pusse inspirer à ma maîtresse assez de confiance pour qu’elle s’en rapportât à moi sur les actions les plus ordinaires ; que madame Daniel n’était qu’un prétexte ; qu’elle savait fort bien que je ne pensais pas sérieusement à elle ; que sa prétendue jalousie n’était qu’un despotisme très réel, et que, du reste, si cette vie la fatiguait, il ne tenait qu’à elle de la rompre.

— Soit, me répondit-elle. Aussi bien, depuis que je suis à vous, je ne vous reconnais plus ; vous avez sans doute joué une comédie pour me persuader que vous m’aimiez ; elle vous lasse, et vous n’avez plus que du mal à me rendre. Vous me soupçonnez de vous tromper sur le premier mot qu’on vous dit, et je n’ai pas le droit de souffrir d’une insulte que vous me faites. Vous n’êtes plus l’homme que j’ai aimé.

— Je sais, lui dis-je, ce que c’est que vos souffrances. À quoi tient-il qu’elles ne se renouvellent à chaque pas que je ferai ? Je n’aurai bientôt plus la permission d’adresser la parole à une autre que vous. Vous feignez d’être maltraitée afin de pouvoir insulter vous-même. Vous m’accusez de tyrannie pour que je devienne un esclave ; puisque je trouble votre repos, vivez en paix ; vous ne me verrez plus.