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diamants coulaient de tes paupières ! dans quel trésor de charité sublime tu puisais, d’une main patiente, ton triste amour plein de pitié !

Pendant longtemps, les bons et les mauvais jours se succédèrent presque régulièrement ; je me montrais alternativement dur et railleur, tendre et dévoué, sec et orgueilleux, repentant et soumis. La figure de Desgenais, qui la première m’avait apparu comme pour m’avertir de ce que j’allais faire, était sans cesse présente à ma pensée. Durant mes jours de doute et de froideur, je m’entretenais, pour ainsi dire, avec lui ; souvent, au moment même où je venais d’offenser Brigitte par quelque raillerie cruelle, je me disais : — S’il était à ma place, il en ferait bien d’autres que moi.

Quelquefois aussi, en mettant mon chapeau pour aller chez Brigitte, je me regardais dans la glace et je me disais : — Quel grand mal y a-t-il ? J’ai après tout une jolie maîtresse ; elle s’est donnée à un libertin ; qu’elle me prenne tel que je suis. J’arrivais le sourire sur les lèvres, je me jetais dans un fauteuil d’un air indolent et délibéré ; puis je voyais approcher Brigitte avec ses grands yeux doux et inquiets ; je prenais dans mes mains ses petites mains blanches, et je me perdais dans un rêve infini.

Comment donner un nom à une chose sans nom ? Étais-je bon ou étais-je méchant ? étais-je défiant ou étais-je fou ? Il ne faut pas y réfléchir, il faut aller ; cela était ainsi.