Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et, pour résister à celles-ci, il faut que l’orgueil vienne à son secours et lui fasse croire qu’il les dédaigne. C’est ainsi qu’il crache sans cesse sur tous les festins de sa vie, et qu’entre une soif ardente et une profonde satiété, la vanité tranquille le conduit à la mort.

Quoique je ne fusse plus un débauché, il m’arriva tout à coup que mon corps se souvint de l’avoir été. Il est tout simple que jusque-là je ne m’en fusse pas aperçu. Devant la douleur que j’avais ressentie à la mort de mon père, tout d’abord avait fait silence. Un amour violent était venu ; tant que j’étais dans la solitude, l’ennui n’avait pas à lutter. Triste ou gai, comme vient le temps, qu’importe à celui qui est seul ?

Comme le zinc, ce demi-métal, tiré de la veine bleuâtre où il dort dans la calamine, fait jaillir de lui-même un rayon du soleil en approchant du cuivre vierge, ainsi les baisers de Brigitte réveillèrent peu à peu dans mon cœur ce que j’y portais enfoui. Dès que je me trouvai vis-à-vis d’elle, je m’aperçus de ce que j’étais.

Il y avait de certains jours où je me sentais, dès le matin, une disposition d’esprit si bizarre qu’il est impossible de la qualifier. Je me réveillais, sans motif, comme un homme qui a fait la veille un excès de table qui l’a épuisé. Toutes les sensations du dehors me causaient une fatigue insupportable, tous les objets connus et habituels me rebutaient et m’ennuyaient ; si je parlais, c’était pour tourner en ridicule ce que disaient