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voulu faire un essai, et vous voyez qu’il m’a réussi, puisque vous en étiez la dupe.

Monstrueuse machine que l’homme ! Qu’y avait-il de plus innocent ? Un enfant un peu avisé eût imaginé cette ruse pour surprendre son précepteur. Elle en riait de bon cœur en me le disant ; mais je sentis tout à coup comme un nuage qui fondait sur moi ; je changeai de visage. — Qu’avez-vous, dit-elle, qui vous prend ?

— Rien ; jouez-moi cet air encore une fois.

Tandis qu’elle jouait, je me promenais de long en large, je passais la main sur mon front comme pour en écarter un brouillard, je frappais du pied, je haussais les épaules de ma propre démence ; enfin je m’assis à terre sur un coussin qui était tombé ; elle vint à moi. Plus je voulais lutter avec l’esprit des ténèbres qui me saisissait en ce moment, plus l’épaisse nuit redoublait dans ma tête. — Vraiment ! lui dis-je, vous mentez si bien ? Quoi ! cet air est de vous ? vous savez donc mentir si aisément ?

Elle me regarda d’un air étonné. — Qu’est-ce donc ? dit-elle. Une inquiétude inexprimable se peignit sur ses traits. Assurément elle ne pouvait me croire assez fou pour lui faire un reproche véritable d’une plaisanterie aussi simple ; elle ne voyait là de sérieux que la tristesse qui s’emparait de moi ; mais plus la cause en était frivole, plus il y avait de quoi surprendre. Elle voulut croire un instant que je plaisantais à mon tour ; mais quand elle me vit toujours plus pâle et comme