Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/215

Cette page a été validée par deux contributeurs.

caresse innocente, puis me quittant pour s’asseoir à l’écart et s’abandonner à des rêveries qui la saisissaient. Y a-t-il au monde un plus doux spectacle ? Quand elle revenait à moi, elle me trouvait sur son passage, dans quelque allée d’où je l’avais observée de loin. — Ô mon amie ! lui disais-je. Dieu lui-même se réjouit de voir combien vous êtes aimée.

Je ne pouvais pourtant lui cacher ni la violence de mes désirs ni ce que je souffrais en luttant contre eux. Un soir que j’étais chez elle, je lui dis que j’avais appris le matin la perte d’un procès important pour moi, et qui apportait dans mes affaires un changement considérable. — Comment se fait-il, me demanda-t-elle, que vous me l’annonciez en riant ?

Il y a, lui dis-je, une maxime d’un poète persan : « Celui qui est aimé d’une belle femme est à l’abri des coups du sort. »

Madame Pierson ne me répondit pas ; elle se montra toute la soirée plus gaie encore que de coutume. Comme je jouais aux cartes avec sa tante et que je perdais, il n’y eut sorte de malice qu’elle n’employât pour me piquer, disant que je n’y entendais rien et pariant toujours contre moi, si bien qu’elle me gagna tout ce que j’avais dans ma bourse. Quand la vieille dame se fut retirée, elle s’en alla sur le balcon, et je l’y suivis en silence.

Il faisait la plus belle nuit du monde ; la lune se couchait et les étoiles brillaient d’une clarté plus vive sur