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demande quand il faudra mourir, vous ai-je importunée ? Depuis deux mois que je perds le repos, la force et l’espérance, vous ai-je dit un mot de ce fatal amour qui me dévore et qui me tue ? Ne le savez-vous pas ? Levez la tête ; faut-il vous le dire ? Ne voyez-vous pas que je souffre et que mes nuits se passent à pleurer ? n’avez-vous pas rencontré quelque part, dans ces forêts sinistres, un malheureux assis, les deux mains sur son front ? n’avez-vous jamais trouvé de larmes sur ces bruyères ? Regardez-moi, regardez ces montagnes ; vous souvenez-vous que je vous aime ? Ils le savent eux, ces témoins ; ces rochers, ces déserts le savent. Pourquoi m’amener devant eux ? ne suis-je pas assez misérable ? ai-je manqué maintenant de courage ? êtes-vous assez obéie ? À quelle épreuve, à quelle torture suis-je soumis, et pour quel crime ? Si vous ne m’aimez pas, que faites-vous ici ?

— Partons, dit-elle, ramenez-moi, retournons sur nos pas. Je saisis la bride de son cheval.

— Non, répondis-je, car j’ai parlé. Si nous retournons, je vous perds, je le sais ; en rentrant chez vous, je sais d’avance ce que vous me direz. Vous avez voulu voir jusqu’où allait ma patience, vous avez mis ma douleur au défi, peut-être pour avoir le droit de me chasser ; vous étiez lasse de ce triste amant qui souffrait sans se plaindre, et qui buvait avec résignation le calice amer de vos dédains ! Vous saviez que, seul avec vous, à l’aspect de ces bois, en face de ces solitudes où mon amour a commencé, je ne pourrais garder le silence !