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elle-même, et franchement, comme un exercice amusant, lui inspirait une gaieté folâtre ; elle avait sa place sous le petit orchestre de l’endroit ; elle y arrivait en sautant, riant avec les filles de campagne, qui la connaissaient presque toutes. Une fois lancée, elle ne s’arrêtait plus. Alors il me semblait qu’elle me parlait avec plus de liberté qu’à l’ordinaire ; il y avait entre nous une familiarité inusitée. Je ne dansais pas, étant encore en deuil, mais je restais derrière elle, et, la voyant si bien disposée, j’avais éprouvé plus d’une fois la tentation de lui avouer que je l’aimais.

Mais je ne sais pourquoi, dès que j’y pensais, je me sentais une peur invincible ; cette seule idée d’un aveu me rendait tout à coup sérieux au milieu des entretiens les plus gais. J’avais pensé quelquefois à lui écrire, mais je brûlais mes lettres dès qu’elles étaient à moitié.

Ce soir-là, j’avais dîné chez elle ; je regardais toute cette tranquillité de son intérieur ; je pensais à la vie calme que je menais, à mon bonheur depuis que je la connaissais, et je me disais : Pourquoi davantage ? cela ne te suffit pas ? Qui sait ? Dieu n’en a peut-être pas fait plus pour toi. Si je lui disais que je l’aime, qu’en arriverait-il ? elle me défendrait peut-être de la voir. La rendrais-je, en le lui disant, plus heureuse qu’elle ne l’est aujourd’hui ? en serais-je plus heureux moi-même ?

J’étais appuyé sur le piano, et, comme je faisais ces réflexions, la tristesse s’emparait de moi. Le jour bais-