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mier jour, eût augmenté jusqu’à l’excès, le respect que j’avais pour madame Pierson m’avait pourtant fermé la bouche. Si elle m’eût admis moins facilement dans son intimité, j’eusse peut-être été plus hardi, car elle avait produit sur moi une impression si violente, que je ne la quittais jamais sans des transports d’amour. Mais il y avait dans sa franchise même et dans la confiance qu’elle me témoignait, quelque chose qui m’arrêtait ; en outre, c’était sur le nom de mon père qu’elle m’avait traité en ami. Cette considération me rendait encore plus respectueux auprès d’elle ; je tenais à me montrer digne de ce nom.

« Parler d’amour, dit-on, c’est faire l’amour. » Nous en parlions rarement. Toutes les fois qu’il m’arrivait de toucher ce sujet en passant, madame Pierson répondait à peine et parlait d’autre chose. Je ne démêlais pas par quel motif, car ce n’était pas pruderie ; mais il me semblait quelquefois que son visage prenait, dans ces occasions, une légère teinte de sévérité, et même de souffrance. Comme je ne lui avais jamais fait de question sur sa vie passée, et que je ne voulais point lui en faire, je ne lui en demandais pas plus long.

Le dimanche, on dansait au village ; elle y allait presque toujours. Ces jours-là, sa toilette était plus élégante, quoique toujours simple ; c’était une fleur dans les cheveux, un ruban plus gai, la moindre bagatelle ; mais il y avait dans toute sa personne un air plus jeune, plus dégagé. La danse, qu’elle aimait beaucoup pour