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comme de nouvelles connaissances. Elle me parla de mon père, et toujours sur le même ton qu’elle avait pris lorsque je lui en avais d’abord rappelé le souvenir, c’est-à-dire presque gaiement. À mesure que je l’écoutais, je crus comprendre pourquoi, et que non seulement elle parlait ainsi de la mort, mais de la vie, de la souffrance et de tout au monde. C’était que les douleurs humaines ne lui enseignaient rien qui pût accuser Dieu, et je sentis la piété de son sourire.

Je lui contai la vie solitaire que je menais. Sa tante, me dit-elle, voyait mon père plus souvent qu’elle-même ; ils jouaient ensemble aux cartes l’après-dînée. Elle m’engagea à aller chez elle, où je serais le bienvenu.

Vers le milieu de la route, elle se sentit fatiguée, et s’assit quelques moments sur un banc que des arbres épais avaient protégé contre la pluie. Je restai debout devant elle, et je regardais sur son front les pâles rayons de la lune. Après un instant de silence, elle se leva, et me voyant distrait : À quoi songez-vous ? me dit-elle ; il est temps de nous remettre en marche.

— Je songeais, répondis-je, pourquoi Dieu vous a créée, et je me disais qu’en effet c’était pour guérir ceux qui souffrent.

— Voilà une parole, dit-elle, qui ne peut guère être dans votre bouche autre chose qu’un compliment.