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fût couché dans la maison, et, prenant un flambeau, je me rendis chez mon père. J’y trouvai un jeune ecclésiastique, seul, assis près du lit. — Monsieur, lui dis-je, disputer à un orphelin la dernière veillée à côté de son père, c’est une entreprise hardie ; j’ignore ce qu’on a pu vous en dire. Restez dans la chambre voisine ; s’il y a quelque mal, je le prends sur moi.

Il se retira. Un seul flambeau, posé sur une table, éclairait le lit ; je m’assis à la place de l’ecclésiastique, et je découvris encore une fois ces traits que je ne devais jamais revoir. — Que vouliez-vous me dire, mon père ? lui demandai-je ; quelle a été votre dernière pensée en cherchant des yeux votre enfant ?

Mon père écrivait un journal où il avait l’habitude de consigner tout ce qu’il faisait jour par jour. Ce journal était sur la table, et je vis qu’il était ouvert ; je m’en approchai et m’agenouillai ; sur la page ouverte étaient ces deux seuls mots : « Adieu, mon fils ; je t’aime et je meurs. »

Je ne versai pas une larme, pas un sanglot ne sortit de mes lèvres ; ma gorge se serra, et ma bouche était comme scellée ; je regardai mon père sans bouger.

Il connaissait ma vie, et mes désordres lui avaient donné plus d’une fois des motifs de plainte ou de réprimande. Je ne le voyais guère qu’il ne me parlât de mon avenir, de ma jeunesse et de mes folies. Ses conseils m’avaient souvent arraché à ma mauvaise destinée, et ils étaient d’une grande force, car sa vie avait été,