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qui se tiennent comme les anneaux d’une chaîne ; mais ce n’est là qu’un mirage léger ; ceux qui regardent à leurs pieds savent qu’ils voltigent sur un fil de soie tendu sur un abîme, et que l’abîme engloutit bien des chutes silencieuses sans une ride à sa surface. Que le pied ne te manque pas ! La nature elle-même sent reculer autour de toi ses entrailles divines ; les arbres et les roseaux ne te reconnaissent plus ; tu as faussé les lois de ta mère, tu n’es plus le frère des nourrissons, et les oiseaux des champs se taisent en te voyant. Tu es seul ! Prends garde à Dieu ! tu es seul en face de lui, debout comme une froide statue, sur le piédestal de ta volonté. La pluie du ciel ne te rafraîchit plus, elle te mine, elle te travaille. Le vent qui passe ne te donne plus le baiser de vie, communion sacrée de tout ce qui respire ; il t’ébranle, il te fait chanceler. Chaque femme que tu embrasses prend une étincelle de ta force sans t’en rendre une de la sienne ; tu t’épuises sur des fantômes ; là où tombe une goutte de ta sueur, pousse une des plantes sinistres qui croissent aux cimetières. Meurs ! tu es l’ennemi de tout ce qui aime ; affaisse-toi sur ta solitude, n’attends pas la vieillesse ; ne laisse pas d’enfant sur la terre, ne féconde pas un sang corrompu ; efface-toi comme la fumée, ne prive pas le grain de blé qui pousse d’un rayon de soleil !

En achevant ces mots, je tombai sur un fauteuil, et un ruisseau de larmes coula de mes yeux. — Ah ! Desgenais, ajoutai-je en sanglotant, ce n’est pas là ce que