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vous le voyez ; mais vous avez pitié d’une infortunée dont la raison est égarée, et vous ne voulez pas que cette pauvre folle soit plongée au fond d’un cachot, ou livrée à la risée publique !

La Reine.

À quoi songez-vous, juste ciel !

Carmosine.

Ah ! je mériterais d’être ainsi traitée, si je m’étais abusée un moment, si mon amour avait été autre chose qu’une souffrance ! Dieu m’est témoin, Dieu qui voit tout, qu’à l’instant même où j’ai aimé, je me suis souvenue qu’il était le roi. Dieu sait aussi que j’ai tout essayé pour me sauver de ma faiblesse, et pour chasser de ma mémoire ce qui m’est plus cher que ma vie. Hélas ! madame, vous le savez sans doute, que personne ici-bas ne répond de son cœur, et qu’on ne choisit pas ce qu’on aime. [Mais croyez-moi, je vous en supplie ; puisque vous connaissez mon secret, connaissez-le du moins tout entier. Croyez, madame, et soyez convaincue, je vous le demande les mains jointes, croyez qu’il n’est entré dans mon âme ni espoir, ni orgueil, ni la moindre illusion.] C’est malgré mes efforts, malgré ma raison, malgré mon orgueil même, que j’ai été impitoyablement, misérablement accablée par une puissance invincible, qui a fait de moi son jouet et sa victime. Personne n’a compté mes nuits, personne n’a vu toutes mes larmes, pas même mon père. Ah ! je ne croyais pas que j’en viendrais jamais à en parler moi-