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Si ma femme est jalouse, il faut donc qu’elle m’aime.
Je ne lui vis jamais faux-semblant ni détour.
C’est moi qu’elle attendait, c’est clair comme le jour.
Ma foi, je suis bien bon d’aller à l’aventure
Chercher, sous un sot masque, une sotte figure,
Pour rencontrer en somme, à ce triste Opéra,
Quoi ? rien de ce qu’on veut, et tout ce qu’on voudra !
Beau métier d’écouter, au bruit des ritournelles,
Trois morceaux de carton jasant sous leurs dentelles !
De me faire berner par Javotte ou Louison,
Quand la grâce et l’amour sont là, dans ma maison !
Faut-il que nous ayons la cervelle assez folle
Pour fuir ce qui nous plaît, nous charme et nous console,
Pour chercher le bonheur où son ombre n’est pas,
Et lui tourner le dos quand il nous tend les bras !
Pauvre duchesse, hélas ! si jeune et si jolie,
Avec sa patience et sa mélancolie,
Je devrais l’adorer ; mais non, je vais plutôt
Me faire obscurément le rival de Berthaud !
Quelle pitié, grand Dieu ! quelle pauvreté d’âme !
Il est de mauvais goût d’oser aimer sa femme.
Les bavards sont fâchés si l’on ne vit comme eux,
Et l’on est ridicule à vouloir être heureux !
En en moment, la duchesse s’éveille, puis écoute, en feignant de dormir.
Hé quoi ! suis-je donc fait pour suivre leur méthode ?
Je puis mettre un chiffon, une veste à la mode,
Pour une broderie on se règle sur moi,
Et, dans mon propre cœur, les sots me font la loi !