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dit : « Seigneur, dormez-vous ? » Prononcer ces mots et percer le duc de part en part d’un coup de dague, fut une seule et même chose. Cette blessure était mortelle ; car elle avait traversé les reins et perforé cette membrane appelée diaphragme, qui, semblable à une ceinture, divise le corps humain en deux parties, l’une supérieure où se trouvent le cœur et les autres organes du sentiment, l’autre inférieure où sont le foie et les organes de la nutrition et de la génération. Le duc, qui dormait ou feignait de dormir, se tenait le visage tourné vers le fond. Il bondit sur le lit en recevant cette blessure, et sortit du côté de la ruelle, cherchant à gagner la porte, et se faisant un bouclier d’un escabeau qu’il avait saisi. Mais Scoronconcolo lui donna une taillade au visage qui lui fendit la tempe et une grande partie de la joue gauche. Lorenzo le repoussa sur le lit et l’y tint renversé en pesant sur lui de tout le poids de son corps ; et afin de l’empêcher de crier, lui serra la bouche avec le pouce et l’index de sa main gauche, en lui disant : « Seigneur, n’en doutez pas. » Alors le duc, se débattant comme il pouvait, prit entre ses dents le pouce de Lorenzo et le serra avec une telle rage que Lorenzo tombant sur lui appela Scoronconcolo à son aide. Celui-ci courait d’un côté et de l’autre, et il ne pouvait atteindre le duc sans blesser du même coup Lorenzo, que le duc tenait étroitement embrassé. Scoronconcolo essaya d’abord de faire passer son épée entre les jambes de Lorenzo, sans autre résultat que de piquer le matelas ; enfin il prit un couteau qu’il avait par hasard sur lui, et l’ayant fixé dans le cou de la victime, il appuya si fort que le duc fut égorgé. Après sa mort, ils lui firent encore quelques blessures qui versèrent tant de sang que la chambre en devint comme un lac. C’est une chose à remarquer, que pendant tout ce temps, où il était