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fumée, réfléchit un peu et dit : « Lesquels prendrai-je, ceux de guerre ou ceux de bonne fortune ? Quand il eut pris ceux-ci, le duc sortit accompagné seulement de trois personnes, Giomo le Hongrois, le capitaine Justinien de Cesena, et un officier de bouche nommé Alexandre. Arrivé sur la place de Saint-Marc, où il était venu pour ne pas être épié, il les congédia, disant qu’il voulait aller seul, et il ne retint avec lui que le Hongrois, lequel entra dans la maison des Sostegni, située presque en face de celle de Lorenzo, avec l’ordre du prince de ne bouger ni se montrer, quelque personne qu’il vît entrer ou sortir. Mais le Hongrois, ayant demeuré là un bon bout de temps, retourna au palais et s’endormit dans l’appartement du duc. En arrivant dans la chambre de Lorenzo, où un grand feu était allumé, le prince ôta son épée. Tandis qu’il se couchait sur le lit, Lorenzo s’empara de l’épée, en lia prestement la garde avec le ceinturon, de manière à empêcher la lame de sortir aisément du fourreau, puis il la posa sur le chevet du lit, en disant au duc de se reposer ; après quoi il sortit, et laissa retomber derrière lui la porte, qui était de celles qui se ferment d’elles-mêmes. Il s’en alla trouver Scoronconcolo, et d’un air tout à fait content : « Frère, lui dit-il, voici le moment ; j’ai enfermé mon ennemi dans ma chambre, et il dort. — Allons-y, » répondit Scoronconcolo. Sur le palier de l’escalier, Lorenzo se retourna et dit : « Ne t’inquiète pas si c’est un ami du duc ; et tâche de bien faire. — Ainsi ferai-je, répondit l’ami, quand ce serait le duc lui-même. — Grâce à notre embuscade, reprit Lorenzo d’un ton joyeux, il ne peut plus nous échapper ; marchons. — Marchons donc, » répondit Scoronconcolo.

Lorsqu’il eut soulevé le loquet qui retomba et ne s’ouvrit pas du premier coup, Lorenzo entra dans la chambre, et