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de vieillesse. Je crois à tout ce que tu appelles des rêves ; je crois à la vertu, à la pudeur et à la liberté.

Lorenzo.

Et me voilà dans la rue, moi, Lorenzaccio ! et les enfants ne me jettent pas de la boue ! Les lits des filles sont encore chauds de ma sueur, et les pères ne prennent pas, quand je passe, leurs couteaux et leurs balais pour m’assommer ! Au fond de ces dix mille maisons que voilà, la septième génération parlera encore de la nuit où j’y suis entré, et pas une ne vomit à ma vue un valet de charrue qui me fende en deux comme une bûche pourrie ! L’air que vous respirez, Philippe, je le respire ; mon manteau de soie bariolé traîne paresseusement sur le sable fin des promenades ; pas une goutte de poison ne tombe dans mon chocolat ; que dis-je ? ô Philippe ! les mères pauvres soulèvent honteusement le voile de leurs filles quand je m’arrête au seuil de leurs portes ; elles me laissent voir leur beauté avec un sourire plus vil que le baiser de judas, tandis que moi, pinçant le menton de la petite, je serre les poings de rage en remuant dans ma poche quatre ou cinq méchantes pièces d’or.

Philippe.

Que le tentateur ne méprise pas le faible ; pourquoi tenter lorsque l’on doute ?

Lorenzo.

Suis-je un Satan ? Lumière du Ciel ! je m’en souviens