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Lionel.

Le ciel est à l’orage ; il fait mauvais temps pour voyager.

André.

Décidément, mes bons amis, je quitte cette maison : la vie de Florence plaît moins de jour en jour à ma chère Lucrèce, et, quant à moi, je ne l’ai jamais aimée. Dès le mois prochain, je compte avoir sur les bords de l’Arno une maison de campagne, un pampre vert et quelques pieds de jardin. C’est là que je veux achever ma vie, comme je l’ai commencée. Mes élèves ne m’y suivront pas. Qu’ai-je à leur apprendre qu’ils ne puissent oublier ? Moi-même j’oublie chaque jour, et moins encore que je ne le voudrais. J’ai besoin cependant de vivre du passé ; qu’en dites-vous, Lucrèce ?

Lionel.

Renoncez-vous à vos espérances ?

André.

Ce sont elles, je crois, qui renoncent à moi. Ô mon vieil ami, l’espérance est semblable à la fanfare guerrière : elle mène au combat et divinise le danger. Tout est si beau, si facile, tant qu’elle retentit au fond du cœur ! mais le jour où sa voix expire, le soldat s’arrête et brise son épée.

Damien.

Qu’avez-vous, madame ? vous paraissez souffrir.

Lionel.

Mais, en effet, quelle pâleur ! nous devrions nous retirer.