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André.]

Cela t’étonne, n’est-ce pas, que j’aie un tel courage ? Cela étonnerait aussi le monde, si le monde l’apprenait un jour. Je suis de son avis. Un coup d’épée est plus tôt donné. Mais [j’ai un grand malheur, moi : je ne crois pas à l’autre vie ; et je te donne ma parole que si je ne réussis pas,] le jour où j’aurai l’entière certitude que mon bonheur est à jamais détruit, je mourrai n’importe comment. Jusque-là, j’accomplirai ma tâche.

Cordiani.

Quand dois-je partir ?

André.

Un cheval est à la grille. Je te donne une heure. Adieu.

Cordiani.

Ta main, André, ta main !

André, revenant sur ses pas.

Ma main ? À qui ma main ? T’ai-je dit une injure ? T’ai-je appelé faux ami, traître aux serments les plus sacrés ? T’ai-je dit que toi qui me tues, je t’aurais choisi pour me défendre, si ce que tu as fait, tout autre l’avait fait ? T’ai-je dit que cette nuit j’eusse perdu autre chose que l’amour de Lucrèce ? T’ai-je parlé de quelque autre chagrin ? Tu le vois bien, ce n’est pas à Cordiani que j’ai parlé. À qui veux-tu donc que je donne ma main ?

Cordiani.

Ta main, André ! Un éternel adieu, mais un adieu !