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et point d’argent ! Que dirai-je quand les envoyés du roi de France… Ah ! André, pauvre André, comment peux-tu prononcer ce mot-là ? Des monceaux d’or entre tes mains ; la plus belle mission qu’un roi ait jamais confiée à un homme ; cent chefs-d’œuvre à rapporter, cent artistes pauvres et souffrants à guérir, à enrichir ! le rôle d’un bon ange à jouer ! les bénédictions de la patrie à recevoir, et, après tout cela, avoir peuplé un palais d’ouvrages magnifiques, et rallumé le feu sacré des arts, prêt à s’éteindre à Florence ! André ! comme tu te serais mis à genoux de bon cœur au chevet de ton lit le jour où tu aurais rendu fidèlement tes comptes ! Et c’est François Ier qui te les demande ! lui, le chevalier sans reproche, l’honnête homme, aussi bien que l’homme généreux ! lui, le protecteur des arts ! le père d’un siècle aussi beau que l’antiquité ! Il s’est lié à toi, et tu l’as trompé ! Tu l’as volé, André ! car cela s’appelle ainsi, ne t’abuse pas la-dessus. Où est passé cet argent ? Des bijoux pour ta femme, des fêtes, des plaisirs plus tristes que l’ennui !

Il se lève.

Songes-tu à cela, André ? tu es déshonoré ! Aujourd’hui te voilà respecté, chéri de tes élèves, aimé d’un ange. Ô Lucrèce ! Lucrèce ! Demain la fable de Florence ; car enfin il faut bien que tôt ou tard ces comptes terribles… Enfer ! et ma femme elle-même n’en sait rien ! Ah ! voilà ce que c’est que de manquer de caractère ! Que faisait-elle de mal en me demandant ce qui lui plaisait ?