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comme tout est foudroyé, comme tout ce qui fermentait en moi s’est réuni en une seule pensée : l’aimer ! C’est ainsi que mille insectes épars dans la poussière viennent se réunir dans un rayon de soleil.

Damien.

Que veux-tu que je te dise, et de quoi servent les paroles après l’action ? Un amour comme le tien n’a pas d’ami.

Cordiani.

Qu’ai-je eu dans le cœur jusqu’à présent ? Dieu merci, je n’ai pas cherché la science ; je n’ai voulu d’aucun état, je n’ai jamais donné un centre aux cercles gigantesques de la pensée ; je n’y ai laissé entrer que l’amour des arts, qui est l’encens de l’autel, mais qui n’en est pas le dieu. J’ai vécu de mon pinceau, de mon travail ; mais mon travail n’a nourri que mon corps ; mon âme a gardé sa faim céleste. [J’ai posé sur le seuil de mon cœur le fouet dont Jésus-Christ flagella les vendeurs du temple.] Dieu merci, je n’ai jamais aimé ; mon cœur n’était à rien jusqu’à ce qu’il fût à elle.

Damien.

Comment exprimer tout ce qui se passe dans mon âme ? Je te vois heureux. Ne m’es-tu pas aussi cher que lui ?

Cordiani.

Et maintenant qu’elle est à moi, maintenant qu’assis à ma table, je laisse couler comme de douces larmes les vers insensés qui lui parlent de mon amour, et que