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Razetta.

J’ai changé subitement de pensée. Ce masque va m’être utile. Comment l’homme est-il assez insensé pour quitter cette vie tant qu’il n’a pas épuisé toutes ses chances de bonheur ? Celui qui perd sa fortune au jeu quitte-t-il le tapis tant qu’il lui reste une pièce d’or ? Une seule pièce peut lui rendre tout. Comme un minerai fertile, elle peut ouvrir une large veine. Il en est de même des espérances. Oui, je suis résolu d’aller jusqu’au bout.

D’ailleurs la mort est toujours là ; n’est-elle pas partout sous les pieds de l’homme, qui la rencontre à chaque pas dans cette vie ? L’eau, le feu, la terre, tout la lui offre sans cesse ; il la voit partout dès qu’il la cherche, il la porte à son côté.

Essayons donc. Qu’ai-je dans le cœur ?

Une haine et un amour. — Une haine, c’est un meurtre. — Un amour, c’est un rapt. Voici ce que le commun des hommes doit voir dans ma position.

Mais il me faut trouver quelque chose de nouveau ici, car d’abord j’ai affaire à une couronne. Oui, tout moyen usé d’ailleurs me répugne. Voyons, puisque je suis déterminé à risquer ma tête, je veux la mettre au plus haut prix possible. Que ferai-je dire demain à Venise ? Dira-t-on : « Razetta s’est noyé de désespoir pour Laurette, qui l’a quitté ? » Ou : « Razetta a tué le prince d’Eysenach, et enlevé sa maîtresse ? » Tout cela est commun. « Il a été quitté par Laurette, et il l’a oubliée un