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la même profusion au charlatanisme et à la médiocrité : mais elle ne manqua pas de disputer à Alfred de Musset le rang qui lui était dû aussi longtemps qu’elle put le faire. Tantôt, abusant de sa modestie, elle le traitait comme un écolier sur l’avenir duquel on pouvait fonder quelques espérances, tantôt elle lui demandait quand finiraient ses essais et s’il donnerait bientôt la mesure de son talent. De 1833 à 1841 il avait publié, outre ses deux premiers volumes de poésies, contenant environ six mille vers, trente-cinq ouvrages en tous genres qui font à cette heure la supériorité, le crédit et l’honneur de la France littéraire dans le monde entier. Non seulement on ne lui tenait aucun compte de cette fécondité, mais on affectait de ne se souvenir que de l’Andalouse et de la Ballade à la Lune. C’était au point que les gens du monde en étaient scandalisés. Les amis d’Alfred de Musset, en lui répétant qu’on ne lui rendait pas justice, ne réussirent que trop bien à le lui faire comprendre, et ils regrettèrent trop tard leurs paroles imprudentes, lorsqu’il eut pris la détermination de laisser à sa réputation le temps de grandir, sans l’aide de personne. Son frère, M. Alfred Tattet, M. Buloz, eurent beau le supplier, et même le quereller : ce fut inutilement ; il leur répondait qu’il avait exercé quelque temps la profession de littérateur et fait tout ce qui concernait son état ; mais qu’il voulait être désormais un poète, et rien qu’un poète, c’est-à-dire pondre des vers, et non autre chose, et seulement lorsque l’envie lui en passerait par la tête.

La littérature d’imagination touchait alors à une de ses époques climatériques. Des journaux à bon marché avaient enfanté le roman-feuilleton. Dès son bas-âge, le monstre