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jamais se rassasier. Assez longtemps j’ai épilogué sur des livres, puis sur des pages, puis sur des périodes, puis sur des épithètes, puis sur une rime, puis sur la virgule d’une césure. Assez longtemps j’ai joué avec les mots. Je désire maintenant sentir, penser et exprimer librement, sans subir la règle d’aucun ordre et sans dépendre d’aucune église. »

Cette indépendance souleva de grandes colères. Alfred de Musset devint un déserteur, un transfuge. C’étaient là de bien gros mots appliqués à un jeune homme, parce qu’il ne voulait plus briser ses vers et qu’il reconnaissait quelque mérite à la poésie de Racine. N’était-ce pas aussi une prétention bien grande, de la part des fondateurs d’une école littéraire, que celle de faire de leurs systèmes des dogmes et des articles de foi auxquels il fallait demeurer attaché jusqu’à la mort, comme s’il se fût agi de l’Eucharistie et de la présence réelle ?

Peu de temps après la publication de ses nouvelles poésies, M. Buloz vint s’assurer la collaboration de l’auteur, et cette visite fut le commencement de relations que la mort seule interrompit. Le premier travail d’Alfred de Musset que la Revue des Deux Mondes ait offert à ses lecteurs est André del Sarto. Quoi qu’on en puisse dire, un spectacle dans un fauteuil n’est point un spectacle ; tout ouvrage dramatique a besoin du prestige de la scène, et de l’interprétation des comédiens. Si ce beau drame, au lieu de rester pendant dix-huit ans dans les brochures et les livres, fût arrivé au théâtre en 1833, et que le premier rôle eût été rempli par Frédérick Lemaître, qui était alors dans toute la force de son talent, le public y aurait trouvé des jouissances