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contraire, a pour premières lois, pour conditions indispensables, le rythme et la mesure. Son talent n’existe pas indépendamment de ces lois, mais par elles, le rythme est sur ses lèvres, la mesure dans sa gorge ; sans eux il est muet.

Pénétrons plus avant. Mon but n’est pas de faire un parallèle et de prouver que le prosateur est un piéton et le poète un cavalier. Je veux dire que ce sont deux natures entièrement différentes, presque opposées, et antipathiques l’une à l’autre. Cela est si vrai, qu’il n’est pas rare de voir, parmi les lecteurs, des gens de mérite, pleins d’intelligence et d’esprit, montrer un goût parfait pour les ouvrages en prose, et ne rien comprendre à la poésie. D’autres, au contraire, presque ignorants, étrangers aux lettres, se laissent prendre, sans savoir pourquoi, au seul bruit d’une rime, jusqu’au point de ne plus pouvoir examiner ce que vaut une pensée dès l’instant qu’elle fait un vers. Que dire à cela ? Il faut bien reconnaître qu’une différence de procédé ne suffit pas pour motiver d’une part une si grande répugnance, de l’autre une si forte prédilection.

Le romancier, l’écrivain dramatique, le moraliste, l’historien, le philosophe, voient les rapports des choses ; le poète en saisit l’essence. Son génie purement natif cherche en tout les forces natives. Sa pensée est une source qui sort de terre ; ne lui demandez pas de se mêler de politique et de raisonner sur telle circonstance qui se passerait même à deux pas de lui ; il