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Pauvre Jacques ! Qui a composé cet air ? un homme du métier ? Ah, vraiment ! un homme du métier aurait rejeté une inspiration aussi simple, supposé qu’elle lui fût venue. Grétry seul aurait pu l’accueillir, parce que Grétry était, selon l’expression de Casali, son maître, un vero asino in musica. Non, Pauvre Jacques est de Mme  de Travanet, attachée à Mme  Élisabeth. Mme  de Travanet composa cette romance sur une petite laitière de Trianon, séparée de son amant, et sur-le-champ ces accents naïfs trouvèrent un écho dans tous les cœurs, et se gravèrent dans toutes les mémoires en traits ineffaçables.

Chacun son lot, ce n’est pas trop ! Messieurs les compositeurs scientifiques écrivent de superbes ouvertures, des symphonies, des morceaux d’ensemble, des airs de bravoure tant qu’on voudra, mais des airs populaires, halte-là, non ! ceci est une autre affaire, c’est pour les ânes en musique !

Depuis douze ou quinze ans, M. Scribe ne fait pas un livret d’opéra-comique sans y fourrer l’air du pays, la ronde du pays : — « Et puis, la chanson du pays… » — M. Scribe ne se lasse pas d’offrir l’occasion à son musicien, mais c’est en pure perte : de tous ces airs du pays, aucun n’est devenu populaire ; jamais le compositeur n’est parvenu à saisir la physionomie de l’air du pays ; toujours il va trop haut ou trop bas. Voyez seulement pour échantillon cet air dans la Part du Diable : combien de fois l’air du pays revient-il dans les trois actes, et combien de fois la pièce a-t-elle été jouée ! Et cependant, qui a retenu l’air du pays ! Personne. MM. Scribe et Auber ont pris à tâche de renouveler le tour de force de la romance de Richard ; jusqu’ici ils n’ont pu en approcher.

Dans toutes les œuvres des compositeurs dramatiques, je ne vois qu’un pendant à l’air Pauvre Jacques : c’est la romance de Nina, mais aussi c’est Dalayrac !… La partition de Nina, comme celle de Renaud d’Ast, comme celle des Deux Savoyards, n’est que la musique d’amateur tout au plus ; les amateurs de notre temps sont la plupart plus forts que cela ; mais, à la fin du dix-huitième siècle, ils ne visaient encore qu’à faire du chant, et souvent y réussissaient.