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rations, toutes monarchistes, affolées d’égalité, qu’elles n’entendent que sous forme de conquête et de privilége. Chacun se sent né pour être prince comme un autre ; voilà tout.

Brafort se sentait l’égal de tous ceux qui étaient au-dessus de lui, mais les prétentions de ses inférieurs lui étaient insupportables.

Il ne prit guère que pour la forme des renseignements au sujet d’Ernest de Labroie.

— Monsieur, dit-il à monsieur de Lavireu, qui fut l’ambassadeur de cette alliance, le nom de monsieur de Labroie et le titre de votre parent le recommandent assez…

— N’importe, monsieur, répondit monsieur de Lavireu : la prudence paternelle exige…

Et il dut insister pour faire accepter à Brafort l’adresse du notaire de la famille et de quelques notabilités du pays. Monsieur de Lavireu trouvait tout simple de se faire l’intermédiaire de cette union entre une jeune fille honnête et naïve et un homme vieilli et ruiné par la débauche ; mais, par un scrupule égoïste où il prétendait retrancher sa loyauté, il affectait de ne point prendre la responsabilité de l’affaire. Il s’en revint tout riant de l’empressement de Brafort, et méprisant la roture plus que jamais.

— Vous voilà engagé d’honneur et d’humanité, dit-il à Ernest de Labroie ; si vous retiriez votre parole, le bonhomme en ferait une maladie.

Brafort avait réservé le consentement de sa fille, mais si faiblement, que monsieur de Lavireu n’y attacha que le sens d’une simple formalité. Seul, avec son propre désir, en effet, l’on croit tout possible ; mais, au moment de parler à Maximilie, Brafort se trouva plus embarrassé.

Jusque-là son orgueil l’avait empêché de faire des avances à sa fille ; sa vanité s’y résolut. Ce fut sans trop de peine d’ailleurs ; les enfantines et charmantes caresses de Maximilie lui manquaient depuis longtemps. Elle fut touché de ces avances. Peu habituée à souffrir, elle en était déjà bien lasse, la pauvre enfant ; puis elle aimait son père, malgré le mal qu’il lui avait fait. Elle sanglota ; ils échangèrent de longs et convulsifs embrassements : cela détendit les nerfs de la jeune fille et entama sa réserve. En dépit de sa blessure, de sa tristesse, malgré tout, l’intimité du foyer se rétablit.

Monsieur de Labroie vint assidûment ; il fut prévenant, aimable. Pour ce lion parisien, éblouir une petite provinciale était chose facile. Maximilie fut bientôt persuadée que le baron Ernest de Labroie était un homme distingué, remarquable même. Il racontait modestement et négligemment ses succès dans les salons et dans les cours étrangères ; il avait signé dans la Gazette de France quelques articles décisifs, très-remarqués ; il eût été du conseil d’État sans ses convictions légitimistes. Quand Brafort le pressait un peu là-dessus, il se contentait d’observer avec un sourire, que le comte de Chambord, tout le premier, trahissait la cause en n’ayant pas d’héritier. Les perfections déployées ou révélées par le baron pendant la journée étaient commentées et amplifiées le soir par Brafort. Tout cela fut accepté par Maximilie, d’autant plus facilement qu’elle n’y attachait d’abord aucune importance.

Mais quand, une quinzaine de jours après, Brafort, pressé par monsieur de Labroie, vint proposer à sa fille ce mariage, elle se récria, pleura, et déclara qu’elle ne se marierait jamais.

Brafort traita cette résolution d’impossible et de chimérique. L’avenir d’une femme est le mariage, et, dans sa tendresse de père, il voulait assurer à sa fille cet avenir dans les meilleures conditions possibles. Or, quelle occasion plus heureuse et plus brillante s’offrirait jamais ? Le baron de Labroie était un homme d’une haute capacité, fait pour arriver à tout ; par son mariage avec lui, Maximilie atteignait du premier coup au sommet social. Elle faisait la joie de ses parents et se consolait, par une aussi digne alliance, d’avoir mal placé son cœur. Pouvait-elle n’être pas touchée de se voir recherchée par un homme aussi distingué, qui se mésalliait par amour pour elle ? Brafort traita longuement tous ces thèmes, y revint sans cesse, ordonna, pria, fit agir tour à tour la crainte et l’affection, et se retira irrité de n’avoir pu obtenir que des pleurs mêlés de dénégations.

Au bout de quelques jours d’une froideur nouvelle entre le père et la fille, force fut à Brafort d’employer l’influence de sa femme. D’elle-même déjà Eugénie avait parlé. Ce mariage plaisait à sa vanité, et les amabilités de monsieur de Labroie l’avaient gagnée. Eugénie personnellement, nous l’avons dit, n’avait sur sa fille d’autre influence que celle qui résultait d’une tendresse filiale assez tranquille ; mais, femme, elle devait, mieux que Brafort, toucher les points faibles et douloureux de la situation de Maximilie.

— Ne jamais se marier ! Est-ce que cela pouvait être sérieux ? Qu’est-ce qu’une vieille demoiselle ? Un objet de moquerie. Une femme n’a d’état, d’honneur et d’importance qu’en se mariant. Jamais Brafort n’accepterait de ne pas voir sa fille mariée. Ce seraient des persécutions sans fin, auxquelles il faudrait céder. Ne valait-il pas mieux céder tout de suite ! On serait tranquille après. Et puis, qui sait plus tard quel autre mari le père se mettrait en tête ? On aurait laissé échapper un si beau parti, un homme charmant, pour un choix sans doute beaucoup moins bon. Avec monsieur de Labroie, la vie serait pour Maximilie une distraction continuelle ; elle passerait l’hiver à Paris. Ce serait une grande dame ; des toilettes magnifiques, des diamants, des spectacles, enfin tout ce qu’avait inutilement désiré madame Brafort, qui soupirait en y pensant, et ne dédaignait pas encore de goûter, au rang de mère de famille, de tels plaisirs dont elle ne pouvait plus être l’héroïne. Et puis monsieur de Labroie paraissait si bon ! C’était un homme si comme il faut, si plein d’attentions et d’égards ! Sa femme ne pouvait manquer d’être heureuse, et finirait certainement par l’aimer. On a des enfants, une vie bien posée. Mais ne point se marier, mieux eût valu entrer au couvent ; c’était, de tous les partis, le plus triste et le plus absurde, on peut même dire impossible, et Maximilie ne pouvait s’y résoudre sérieusement.

Tous ces arguments une fois donnés, madame Brafort les reprit jour à jour, les développant en détail et les répétant sans cesse. À cela se joignirent les adjurations, tantôt suppliantes et tantôt véhémentes, d’un père qui, bien qu’il n’eût que quarante-huit ans, suppliait sa fille de ne point empoisonner sa vieillesse par une obstination coupable ; enfin les séductions de monsieur de Labroie, qui, devinant la situation, y remplit son rôle. Toutes ces obsessions énervaient sans relâche cette pauvre enfant, épuisée déjà par une longue souffrance, et, en la voyant chanceler, chacun redoublait d’efforts.

S’il est quelque chose d’imperturbable en ce monde, c’est l’assurance des gens qui veulent faire le bonheur des autres malgré eux. On hésite quelquefois pour soi, jamais pour les autres.

La seule personne qui eût pu défendre Maximilie et relever son courage, c’était Jean. Brafort l’avait envoyé en Angleterre, et ne s’occupait que d’y prolonger son séjour.

Pendant qu’à la villa Brafort les mérites de monsieur de Labroie, affirmés ainsi chaque jour, devenaient de plus en plus irrécusables, les renseignements arrivèrent ; à peine Brafort se souvenait-il de les avoir demandés. Il les parcourut rapidement. La lettre du notaire avait des tons ambigus, qui eussent fait réfléchir un lecteur plus impartial. Ce notaire s’étendait longuement sur les qualités de la famille, touchait seulement en passant