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— Oh ! mademoiselle !

— Non, non, je vois bien que vous êtes honnête. Et puis vous avez un livre ; les maraudeurs n’en ont pas. Oh ! vous ne risquez guère, à cette heure-ci, de faire des rencontres. Il n’y a que moi quelquefois, et encore… Voici plus d’une semaine que je n’étais venue de ce côté. Savez-vous s’il y a des nids de merle ?

— Il y en a un là-bas.

— Ah ! quel bonheur ! s’écria-t-elle en frappant dans ses mains. J’en voudrais tant élever ! Est-ce que vous auriez la bonté de me le montrer ?

— Je vous le dénicherai, mais d’abord il faut savoir si les petits sont éclos.

Ils se dirigèrent ensemble, avec autant de simplicité que s’ils avaient été des amis de plusieurs années, vers le point indiqué par Jacques. Cette jeune fille n’était après tout qu’une petite fille. À la mieux regarder, on voyait l’enfant se trahir en elle de toutes parts ; mais elle était déjà très-grande, forte, et plus gracieuse qu’on ne l’est généralement à cet âge indécis de l’adolescence. Elle marchait près du jeune garçon, en bonne camarade ; si c’était la fille du marquis, elle n’était pas fière vraiment.

Jacques monta dans l’arbre avec l’agilité d’un sylvain, plongea ses regards dans le nid, et tout aussitôt se laissa glisser le long du tronc, comme une allouette qui s’abat.

— Eh bien ! il n’y a rien ?

— Si, mais des œufs seulement.

— Combien ?

— Quatre.

— Oh !… De quelle couleur ?

— D’un bleu vert. Et, tenez, gros comme cela. Il faut attendre. Je remonterai dans huit jours.

— Que vous êtes bon !

— C’est moi, mademoiselle, qui vous remercie de ne pas me chasser de chez vous.

— De chez moi ? Ce n’est pas chez moi. Pour qui me prenez-vous donc ? Ah !…

Elle éclata d’un rire si joli, que la fauvette interrompit son chant pour l’écouter.

— Vous me prenez pour mademoiselle de Labroie ?

— C’est vrai !

— Oh ! comme cela est amusant ! Vous ne l’avez donc jamais vue ?

— Jamais.

— C’est juste ; elle n’est qu’arrivée de pension. Oh ! mais vous me faisiez beaucoup trop d’honneur. Je suis la fille de Benoît, le valet de chambre.

— Ah ! dit Jacques avec un soupir de joie, que j’en suis content !

— Pourquoi cela ?

— Parce que… Je vous reverrai… n’est-ce pas ?

— Oh ! oui ; je viens souvent dans le parc le matin. J’aime à me lever de bonne heure. Puis vous m’avez promis le nid ?… Je me nomme Noelly, et vous ?

— Jacques Brafort. Nous demeurons là, tout près.

— Ah ! vous êtes le fils du garde champêtre. Est-ce vrai que votre père a été…

Elle s’arrêta et rougit.

— Un républicain, dit Jacques ; oui, je crois, mais il y a longtemps ; il était surtout bonapartiste… Moi… je n’aime pas les royalistes, je vous en préviens.

— Ah ! mon Dieu ! mais nous sommes royalistes, nous, dit-elle en riant. Me donnerez-vous mon nid de merles malgré cela ?

— Certainement. Je ne vous en veux pas à vous, nous sommes des enfants.

— Bien, dit-elle ; vous avez du bon sens… quoique partisan de l’usurpateur.

Et là-dessus, avec une jolie révérence et un doux sourire, elle le quitta.

Jacques avait alors quatorze ans. Il n’avait guère lu que des œuvres littéraires, et il n’en est point qui ne fasse résonner plus ou moins la plus vibrante des cordes de la lyre, l’amour ; mais, comme beaucoup d’autres enfants, Jacques n’imaginait point que la vie réelle put ressembler à ce qui se passait dans ses livres. Son goût pour la lecture l’avait préservé des camaraderies malsaines. Aussi ne songea-t-il pas le moins du monde à devenir amoureux ; mais cette scène matinale et la beauté de la jeune fille, surtout sa grâce et sa bonne humeur, le frappèrent profondément, et il éprouva le plus vif désir de la revoir.

Le lendemain, il était dans le parc à la même heure ; il y retourna les jours suivants. Mais ce fut seulement au bout d’une semaine qu’enfin il la rencontra au pied de l’arbre qui portait le nid, selon le rendez-vous qu’il avait donné lui-même. Un battement de cœur le prit en la voyant ; elle, souriante, l’accueillit en ami. Cette fois, les petits se trouvaient éclos, mais bien jeunes encore ; il valait mieux attendre deux ou trois jours…

Ce délai consenti nécessita un nouveau rendez-vous, où Noelly enfin fut mise en possession du nid tant désiré. Elle l’emportait charmé, quand, se ravisant :

— Eh bien !… Comment, je les prends tous quatre ! Et vous ? Partageons.

Il résista vainement. Elle insista. Ils partagèrent donc les oiseaux. Il fallut bien ensuite se donner des nouvelles réciproques des nourrissons emplumés ; Noelly avait d’ailleurs besoin de conseils que ne marchandait pas l’expérience de Jacques. Un matin, elle vint toute en larmes jusqu’au mur appeler son jeune ami ; un des chiens du marquis avait tué les oiseaux. Elle sanglotait.

Je vous donnerai les miens, Noelly ! s’écria Jacques. En effet, ce fut pour elle qu’il acheva de les élever. Le lien d’affection était formé, les prétextes désormais étaient inutiles ; ils ne manquèrent pas cependant. Ils s’intéressaient d’avance aux mêmes choses à peu près, puis ce qui n’était pas commun le devint bientôt ; il leur fut impossible d’éprouver isolément une joie, une préoccupation, un chagrin, et chacun d’eux garda ses impressions comme un dépôt, jusqu’au moment de les partager avec son ami. Les lectures de Jacques furent celles de Noelly ; ils les faisaient ensemble, non pas à voix haute, mais en même temps, Noelly tenant le livre, Jacques, pour voir de plus près, penché sur elle et l’entourant de son bras. Noelly n’avait que treize ans et toute la simplicité de l’enfance ; mais, par moments, des expressions de jeune fille, des lueurs dans le regard, des rougeurs, — elle ne savait pas pourquoi, non plus que son compagnon, quelquefois des rêveries, pendant lesquelles, la tête renversée sur le tronc du hêtre qui ombrageait le banc, les regards noyés, elle gardait de longs silences. Jacques, lui, pendant ce temps, la regardait. Cela arrivait surtout après les lectures. Un jour elle tout à coup :

— C’est drôle, l’amour, n’est-ce pas ?

Jacques ne put trouver de réponse.

— Est-ce que tu comprends pourquoi il veut se tuer ?

— Mais parce qu’on s’oppose à leur mariage.

— Eh bien ! s’il meurt, ils ne se marieront pas.

— C’est vrai. Pourtant je trouve cela beau.

— De mourir ?

— Non, d’aimer tant.

— Oh ! oui, dit-elle avec un singulier soupir.

Puis elle ajouta presque bas : — Tout à l’heure, j’avais envie de pleurer ; et toi ?

— Moi aussi, dit-il du même ton.

Et ils se quittèrent très-rêveurs.

Mais ces échappées de vue sur la vie, ces pressentiments n’avaient pas de suite. Leur imagination restait enfant. Ils vivaient au sein d’une aube charmante, et leurs impressions avaient toute la pureté, toute la fraîcheur de l’heure matinale qu’ils passaient sous les grands hêtres, dans le réseau tremblant où luttaient, comme dans leur esprit, la lumière et l’ombre. Cela dura des mois, puis des mois encore. Si quelque événement d’intérieur ou le caprice de leurs parents les empêchait