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point ; à Suwarow il fallait la Russie et ses immenses ressources, transportées loin de son pays ; une armée qui n’aurait pu se recruter avec facilité, se serait fondue entre ses mains plus lentement, peut-être, mais aussi sûrement par des victoires que par des défaites. Suwarow gagnait des batailles à coups d’hommes sans paraître songer que la plus belle victoire a un lendemain.

Suwarow ne tarda pas à se plaindre d’être mal secondé par les Autrichiens ; de son côté le cabinet russe s’indigna de l’ordre donné à l’archiduc Charles de marcher vers la Suisse. Paul Ier, à son tour, prescrivit à Suwarow d’abandonner l’Italie et les Autrichiens, de se porter, avec le peu de troupes qui lui restaient à la rencontre du général Korsokow et de prendre le commandement de toutes les forces russes qui entraient dans l’Helvétie ; mais Korsokow n’avait pas attendu le feld-maréchal, laissé à découvert par les Autrichiens ; l’armée que Suwarow devait rejoindre avait été outrageusement battue par Masséna à Zurich. Suwarow éprouva lui-même dans sa marche par la Suisse italienne des obstacles de toute nature, que la plus persévérante intrépidité pouvait seule tenter de vaincre ; la saison était rigoureuse, les chemins dans les montagnes avaient été rendus presque impraticables, les provisions manquaient et les troupes victorieuses des Français l’entouraient et le harcelaient de toutes parts. La position des Russes était telle que déjà Masséna pouvait espérer attacher le fameux Suwarow vaincu à son char de triomphe.

C’est alors que le feld-maréchal se décida à abandonner les Autrichiens à eux-mêmes et à ramener à son souverain les faibles restes de l’armée confiée à son commandement. Mais la retraite sur Lindau présentait de sérieuses difficultés ; les Russes, démoralisés, abattus, restaient sourds cette fois à la voix de leur général. Un jour, les grenadiers, qui formaient l’avant-garde, accablés de fatigue, refusèrent de se porter plus loin en avant ; ils se trouvaient en face des hauteurs escarpées que défendait un corps considérable de Français ; on ne pouvait les aborder que par un défilé où les Russes craignaient de périr jusqu’au dernier. Suwarow s’avance vivement à la tête de l’avant-garde, commande de marcher et donne l’exemple : les grenadiers restent immobiles, « Ah ! vous refusez de me suivre, s’écrie-t-il, vous voulez déshonorer mes cheveux blancs, je n’y survivrai pas. » C’était là un de ses moyens ordinaires quand dans une bataille il voyait une colonne plier, il s’élançait au milieu des fuyards en leur criant : « Je veux mourir ; je ne saurais survivre à la perte d’une bataille ! » Et les soldats qui l’adoraient revenaient au combat avec une nouvelle ardeur.

Cette fois, Suwarow parle vainement aux Russes révoltés. Aussitôt il ordonne froidement de creuser une fosse de quelques pieds de long, s’y étend devant ses soldats étonnés et leur dit : « Puisque vous refusez de me suivre, je ne suis plus votre général, je reste ici. Cette fosse sera mon tombeau. Soldats, couvrez de terre celui qui vous guida tant de fois à la victoire. » Émus jusqu’aux larmes, mais électrisés par ce peu de mots, les soldats jurent de ne jamais l’abandonner et se précipitent à sa suite dans le terrible défilé où un grand nombre d’entre eux trouvent la mort, mais où le reste força enfin le passage et l’ouvrit aux débris de l’armée. Après des peines et des fatigues inouïes, Suwarow parvint en Allemagne avec les restes d’une armée naguère brillante et victorieuse.

En apprenant la retraite du feld-maréchal, Paul Ier approuva sa conduite, il annonça hautement l’intention de célébrer see victoires en Italie en