suspension d’armes que ce traité venait d’établir entre l’Angleterre et la République française. Une petite division composée d’un vaisseau, de trois frégates et de deux transports, appareilla à Brest le 14 ventôse an XI, sous les ordres du contre-amiral Linois, pour aller porter dans les comptoirs indiens le capitaine général Decaen, un bataillon d’infanterie et un grand nombre d’employés civils et militaires chargés de remplir les postes qui les attendaient dans les anciennes et pauvres colonies que l’Angleterre avait enfin consenti à nous restituer.
La frégate la Belle-Poule, détachée en mer de la division que commandait le vaisseau le Marengo, se présenta le 27 prairial devant Pondichéry, pour prendre possession de cette place, sous laquelle stationnaient encore cinq vaisseaux de ligne, trois frégates et deux corvettes commandées par l’amiral anglais Rainier ; mais au mépris des conventions stipulées depuis un an déjà, entre les gouvernements anglais et la république, cet amiral, après avoir pris connaissance des dépêches du commandant français, refusa à la Belle-Poule l’autorisation de communiquer avec la terre, et ce ne fut que vingt-cïnq jours après avoir retenu cette brigade prisonnière sous le canon de son escadre, que Rainier, voyant arriver à Pondichéry la division Linois, voulut bien permettre au général Decaen, de mettre une garnison dans la ville. Cette prise de possession si tardive ne devait pas être de longue durée, le lendemain même de son départ à Pondichéry, Decaen reçut l’ordre par le brick le Bélier, parti de Brest dix jours après lui, de laisser son bataillon expéditionnaire à terre, et de faire voile immédiatement pour l’Ile-de-France, où il devait attendre la rupture imminente de l’éphémère convention d’Amiens. L’exécution d’un ordre aussi inattendu devenait difficile pour le capitaine général et l’amiral français, en présence de l’escadre de Rainier, si supérieure en force à la division Linois. Mais après s’être entendus ensemble pour tromper la surveillance de l’amiral anglais, les deux généraux exécutèrent avec habileté le plan qui devait assurer la fuite mystérieuse dans laquelle ils pouvaient espérer de trouver leur salut. Le soir même du jour de l’arrivée du Bélier, le vaisseau le Marengo et les trois frégates qui l’avaient accompagné, appareillèrent silencieusement de la rade de Pondichéry, sans que l’escadre ennemie eût soupçonné cette manœuvre discrète et hardie. Ce ne fut qu’en apercevant le matin le vide que la sortie nocturne des navires français avait laissé auprès de lui, que l’amiral Rainier se douta de la rupture du traité de paix, et que, de dépit d’avoir été joué de la sorte, il se décida à faire le blocus de Pondichéry défendu seulement par le bataillon d’infanterie arrivé depuis dix jours. Le 28 thermidor, le Marengo et les trois frégates, échappés si heureusement à la défiance de l’escadre de Pondichéry, mouillèrent à l’Ile-de-France.
Ce retour étonna le capitaine général Deçaen : il adressa à ce sujet au ministre de la marine un long rapport qui se trouve dans l’ouvrage intitulé : Correspondance de Napoléon avec le Ministre de la marine, t. Pr, p. 310. Ce rapport mis sous les yeux de Napoléon, donna lieu, entre l’Empereur et son ministre, à une correspondance où se trouvent les passages suivants :
Au Château, près Gueldres, 27 fructidor an XII.
« Monsieur Decrès, ministre de la marine, j’ai lu avec attention le rapport et les différentes lettres du capitaine général Decaen ; la conduite du général Linois