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à cet ennemi, et quand il se fut livré de bonne foi, on l’immola.

« À bord du Bellérophon, à la mer. »

Cette protestation eut le sort de la lettre au Prince régent. Le 7 août, l’illustre prisonnier fut transporté sur le Northumberland, commandé par l’amiral Cockburn. Ses effets furent visités, son argent séquestré ; les personnes de sa suite furent désarmées ; l’ordre ministériel portait aussi de lui retirer son épée ; mais l’amiral Keith ne voulut pas le faire exécuter. On mit à la voile. Le 17, passant en vue des côtes de France : « Adieu ! terre des braves, dit Napoléon, adieu ! chère France ! quelques traîtres de moins et tu serais encore la grande nation et la maîtresse du monde. » Trois mois après, le 18 octobre, on le déposa dans l’île-prison qu’il ne devait plus quitter avant sa mort.

Les Romains, Tamerlan et autres conquérants barbares, sévissaient lâchement contre les ennemis qu’ils avaient vaincus, ou qui même s’étaient soumis de bonne foi ; telle fut le sort du brave Vercingétorix, ce glorieux chef des Gaulois, de Persée, roi de Macédoine. Mais lorsque l’Europe chrétienne commença à se civiliser, les rois et les guerriers se firent un point d’honneur de traiter avec la plus grande générosité les adversaires que le sort des armes avait fait tomber en leur pouvoir. C’est ainsi qu’en agirent les Anglais envers le roi Jean. Après la malheureuse journée de Pavie, François Ier est conduit en Espagne : un grand personnage de ce pays, jouant avec l’illustre prisonnier, lui manque de respect ; François le tue ; les parents du défunt vont porter plainte à leur souverain : Un roi est roi partout, fut la satisfaction qu’ils obtinrent de Charles-Quint. Bertrand Du Guesclin est prisonnier à Bordeaux, du prince de Galles ; pour se libérer, il fallait payer une grosse rançon. Quelqu’un ayant dit au prince que généralement on croyait que Son Altesse tenait son captif dans l’inaction par crainte de le retrouver un jour sur quelque champ de bataille, le jeune Anglais, dont la noblesse des sentiments égalait la bravoure, se hâte de faire venir Du Guesclin, le laisse le maître de se retirer et de payer ce qu’il voudra. Quel est celui de tous les Rois ligués contre Napoléon qui aurait osé se comparer au prince Noir ? Ils avaient donc réellement bien peur de cet homme, dont un illustre écrivain (Chateaubriand) a dit que ses pas faisaient trembler le monde. Eh bien ! oui, la captivité de Sainte-Hélène fut un événement cent fois plus glorieux pour la mémoire de Napoléon que toutes ses victoires. Quel prestige de puissance incommensurable ! un simple individu, sans armée, sans alliés, tient en échec et trouble la sécurité de vingt rois conjurés contre lui ! L’histoire n’offre rien de pareil : Annibal, il est vrai, fut, tant qu’il vécut, la terreur des Romains, mais Annibal était libre ; mais Annibal avait trouvé asile dans les États de princes disposés à le mettre à la tête de leurs armées.

Que faisait Napoléon à Sainte-Hélène ? Il accomplissait la promesse qu’il avait faite à ses braves, en leur faisant ses adieux à Fontainebleau : « J’écrirai les grandes choses que nous avons faites. Il dictait donc des mémoires, s’entretenait familièrement de sa prospérité passée avec les fidèles compagnons de son exil ; mais, toujours Empereur, quoique détrôné deux fois, il ne fit rien, ne dit rien, qui fût indigne du haut rang où la fortune et son génie l’avaient fait monter. Il tint fièrement à distance les commissaires