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émotion. Joséphine n’existait plus. Là, tout lui rappelait les brillantes années du Consulat, les triomphes gigantesques de l’Empire. Que les temps étaient changés !

Les circonstances devenant de jour en jour plus critiques, on lui donna à entendre qu’il y allait de ses intérêts de s’éloigner et de quitter la France. Il demanda deux frégates pour se rendre aux État-Unis avec sa famille. La veille il avait refusé les offres d’un capitaine américain qui lui proposait de le transporter incognito, sur son vaisseau de l’autre côté de l’Atlantique. Napoléon avait le cœur trop élevé pour sortir en fugitif de cette France, naguère son Empire.

Les deux frégates furent armées ; mais le gouvernement jugea convenable d’obtenir de Wellington des sauf-conduits pour la sûreté de ces navires, et le lieutenant-général Becker fut choisi pour devenir auprès de Napoléon le répondant de sa propre sûreté envers le gouvernement.

Cependant les sauf-conduits de Wellington n’arrivaient pas. L’ennemi était à Compiègne ; il n’y avait plus de temps à perdre. Napoléon promet enfin de partir sur-le-champ ; au même instant, un coup de canon se fait entendre : « Qu’on me fasse général, dit-il vivement au comte Becker, je commanderai l’armée, je vais en faire la demande. Général, vous porterez ma lettre ; partez de suite ; expliquez-leur que je ne veux pas ressaisir le pouvoir, que je veux écraser l’ennemi, qu’ensuite je poursuivrai ma route. » Ces offres ne furent point agréées par la commission du gouvernement : Fouché, son président, répondit à Becker : « Est-ce qu’il se moque de nous ! » — Le jour suivant, après une longue discussion sur le parti qu’il devait prendre, quelqu’un lui proposa de se livrer aux coalisés, et de les désarmer par cet acte courageux de confiance aveugle : « Ce dévouement serait beau, répondit-il, mais une nation de 30 millions d’hommes qui le souffrirait serait à jamais déshonorée. » Belle réponse digne d’un grand homme.



11. Ces ministres étaient le prince de Talleyrand, le duc de Dalberg, Latour-du-Pin, le comte Alexis de Noailles.
12. Pendant que Fouché et ses partisans s’expliquaient ainsi dans le Conseil, ils portaient en sous-main les Chambres à se révolter contre leur souverain.
13. Donnée au palais de l’Élysée, le 22 juin.
14. « Dans le conseil qui avait été tenu relativement au plus ou moins de nécessité de cette mesure (l’abdication), Carnot seul y montra une vive opposition, disant qu’elle serait le coup de mort de la patrie : il voulait qu’on se défendit jusqu’à extinction ; et quand enfin il vit qu’il était seul de son opinion, quand il vit l’abdication résolue, il appuya la tête de ses deux mains et se mit à fondre en larmes. » Chennechot, Histoire de Napoléon Bonaparte.
Il est à remarquer que l’ennemi dispersait ses forces sur la frontière, et qu’il ne songea à marcher sur Paris qu’en apprenant la nouvelle de l’abdication.
15. Cette proclamation est datée de la Malmaison, le 25 juin.

XIII. Rochefort. — Sainte-Hélène. — Mort.

Enfin il fallait se décider à quitter la Malmaison ; l’ennemi était déjà aux portes. Le 29 juin au soir, Napoléon se jeta dans une voiture et partit avec sa suite pour Rambouillet. Le lendemain, il prit la route de Rochefort, où l’attendaient les frégates la Saale et la Méduse, que le gouvernement faisait tenir prêtes pour le transporter en Amérique. Arrivé à Niort, il y fut reçu avec acclamation par le peuple de cette ville. Il fit écrire au gouvernement qu’on s’est trop pressé de l’éloigner, qu’il pourrait encore exercer une grande influence en appuyant les négociations avec une armée. « … Si, dans cette situation, une croisière anglaise arrête le départ de l’Empereur, vous pouvez disposer de lui comme soldat. »

Il arriva à Rochefort, monta, le 8, à bord de la frégate la Saale, se fit conduire à l’île d’Aix, où, suivant ses habitudes, il visita les fortifications, fit mettre la garnison sous les armes. Le 10, se présenta une croisière anglaise qui empêcha d’appareiller ; alors il fit demander à l’amiral commandant cette croisière s’il lui serait permis de continuer sa route pour l’Amérique ? Il fut répondu que l’amiral n’avait aucune instruction à cet égard, mais que, si Napoléon le désirait, il le prendrait sur son bord et le conduirait en Angleterre. Après avoir refusé une seconde fois les offres d’un