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Telle était la situation des esprits que les soldats n’avaient réellement confiance que dans Napoléon ; ils étaient disposés à se croire trahis à chaque instant. Plusieurs bons officiers qui avaient servi dans la maison du roi avaient été replacés dans des régiments. On n’eut aucun reproche à leur faire ; mais le soldat nourrissait toujours des soupçons contre eux. » (Gourgaud, Campagne de 1815.)

L’Empereur, pendant sa retraite, donna ordre aux troupes de se rallier à Laon. Il entra dans cette ville le 19, et par ses soins on y organisa le service pour une armée de 80.000 hommes. On estime que, sous peu de jours, Napoléon aurait pu reprendre les hostilités avec une armée de 120.000 hommes, soutenue par 350 bouches à feu. « Tout pouvait encore se réparer », disait-il à Sainte-Hélène ; « mais il fallait du caractère, de l’énergie, de la part des officiers, des Chambres, de la nation tout entière. Il fallait qu’elle fixât les yeux sur Rome après la bataille de Cannes, et non sur Carthage après la bataille de Zama. »

Napoléon voulait rester à Laon pour y défendre, ne fût-ce qu’avec 12.000 hommes, les approches de Paris ; mais on lui fit observer que sa présence était nécessaire à Paris pour tranquilliser les esprits et déterminer les habitants de cette ville, sur lesquels il pouvait compter, à prendre les armes. Il se rendit malgré lui à ces raisons : « Puisqu’on le croit, je cède, dit-il. Je suis persuadé qu’on me fait faire une sottise : ma vraie place est ici. »

Un écrivain distingué, M. Victor Maingarnauld, a parfaitement résumé les événements à partir du retour de Napoléon dans la capitale jusqu’au moment de son abdication : nous avons cru devoir adopter ce résumé et le reproduire textuellement ici, parce qu’il comprend le récit exact et complet d’une des périodes les plus intéressantes de la vie de Napoléon.

L’Empereur arriva le 20 juin à Paris. Son intention fut de réunir les Chambres en séance impériale, de leur peindre les malheurs de l’armée, de leur demander les moyens de sauver la patrie, et ensuite de repartir. C’est alors qu’il apprit avec surprise que les Chambres, à la nouvelle des désastres du mont Saint-Jean, augmentés par la malveillance et le rapport inexact du maréchal Ney, avaient montré des dispositions plus hostiles que françaises ; que les esprits, dirigés par la faction des faux républicains, étaient dans une grande agitation ; qu’il était à craindre que les représentants ne répondissent point à l’attente du prince, et qu’il eût mieux valu ne point se séparer de l’armée, qui faisait sa force et sa sûreté. Mais l’Empereur croyait et devait croire que sa présence contiendrait les perturbateurs.

« Quelques instants de repos l’eurent bientôt remis de ses fatigues ; aussitôt il rassembla son conseil : « Nos malheurs sont grands, lui dit-il, je suis venu pour les réparer, pour imprimer à la nation un grand et noble dévouement. Si elle se lève, l’ennemi sera écrasé ; si au lieu de levées, de mesures extraordinaires, on dispute, tout est perdu. L’ennemi est en France ; j’ai besoin, pour sauver la pairie, d’être revêtu d’un grand pouvoir, d’une dictature temporaire. Dans l’intérêt de la patrie, je pourrais me saisir de ce pouvoir ; mais il serait plus utile et plus national qu’il me fût donné par les Chambres. » Interpellés de dire leur sentiment sur les mesures de salut public qu’exigeaient les circonstances, les ministres baissèrent les yeux et ne répondirent pas.

« L’intègre Carnot, ministre de l’intérieur, guidé par le seul intérêt de la France, fut d’avis qu’il fallait déclarer