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complot, se rendirent comme de simples citoyens dans le conseil des Anciens ; Barras, Gohier et Moulins voulurent d’abord faire quelque résistance, ils firent appeler le général Lefebvre pour lui donner des ordres. Celui-ci leur répondit, qu’en vertu du décret, il ne connaissait d’autre supérieur que le général Bonaparte. Enfin, Bonaparte, entouré d’une foule de généraux et de soldats, s’adressant indirectement aux membres du pouvoir exécutif, les apostropha dans la salle du Conseil (des Anciens) par ces mots foudroyants : « Qu’avez-vous fait de cette France que je vous ai laissée si florissante ? Je vous ai laissé la paix, je retrouve la guerre. Je vous ai laissé des victoires, je retrouve des revers. Je vous ai laissé les millions de l’Italie, et je retrouve partout des lois spoliatrices et la misère. Qu’avez-vous fait de 100.000 Français que je connaissais, tous mes compagnons de gloire ? ils sont morts. Cet état de choses ne peut durer ; avant trois ans il nous mènerait au despotisme. Mais nous voulons la République, la République assise sur les bases de l’égalité, de la morale, de la liberté civile, de la tolérance politique. Il est temps enfin que l’on rende aux défenseurs de la patrie la confiance à laquelle ils ont tant de droits ; à entendre quelques factieux, bientôt nous serions tous des ennemis de la République, nous, qui l’avons affermie par nos travaux et notre courage ; nous ne voulons pas de gens plus patriotes que les braves qui ont été mutilés au service de la patrie. »

Le directeur Moulins avait proposé à ses collègues de s’emparer de Bonaparte et de le faire fusiller, mais il apprit bientôt que l’exécution d’un coup si hardi n’était plus en son pouvoir ; un détachement envoyé autour du Luxembourg lui fit abandonner son projet. La propre garde du Directoire se mit, de son propre mouvement, à la disposition du héros de l’Italie et de l’Égypte, et les directeurs s’estimèrent heureux qu’on leur permît d’aller finir leurs jours dans l’obscurité et la retraite.

Le lendemain 19, les conseils se réunirent à Saint-Cloud, celui des Anciens, dans la galerie du palais, et celui des Cinq-Cents dans l’Orangerie. Bonaparte, après avoir fait occuper militairement toutes les avenues, entre, suivi de ses aides-de-camp dans le conseil des Anciens où il prononce une harangue véhémente, dont voici quelques traits : « On parle d’un nouvau César, d’un nouveau Cromwel ; on répand que je veux établir un gouvernement militaire. Si j’avais voulu usurper l’autorité suprême, je n’aurais pas eu besoin de recevoir cette autorité du Sénat. Le conseil des Anciens est investi d’un grand pouvoir, mais il est encore animé d’une plus grande sagesse ; ne consultez qu’elle ; prévenez les déchirements. Évitons de perdre ces deux choses, pour lesquelles nous avons fait tant de sacrifices : la liberté et l’égalité. »

« — Et la Constitution ? lui dit en l’interrompant le député Linglet.

« — La Constitution, répliqua Bonaparte avec l’accent de la colère ; la constitution ! osez-vous l’invoquer ? Vous l’avez violée au 18 fructidor, au 22 floréal, au 30 prairial. Vous avez, en son nom, violé tous les droits du peuple. Nous fonderons, malgré vous, la liberté et la République. Aussitôt que les dangers qui m’ont fait conférer des pouvoirs extraordinaires auront cessé, j’abdiquerai ces pouvoirs. »

« — Et quels sont ces dangers ? lui cria-t-on.

« — S’il faut s’expliquer tout à fait, je dirai que Barras et Moulins m’ont proposé eux-mêmes de renverser le gouvernement. Je n’ai compté que sur le conseil des Anciens ; je n’ai point compté sur