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des objets qui doivent rémunérer le prédicateur et qui sont rangés avec ostentation dans la salle de réception. Ce sont de belles coupes à pied, des urnes de prix, contenant, les unes de l’or et de l’argent monnayé formant une somme supérieure aux appointements annuels d’un mandarin, les autres de belles étoffes jaunes en soie et en coton, d’autres encore des noix d’arec, du bétel ou du tabac, des paquets de thé, du sucre candi, des cierges, du riz, des fruits, des comestibles de toutes sortes, enfin un assortiment varié, digne de former la base d’un fonds d’épicerie, et capable de charger à pleins bords la barque du pieux marchand de paroles.

N’aurait-il que cette industrie, le métier de talapoin serait, on le voit, assez lucratif ; mais il y joint bien d’autres privilèges.

Exonérés de toutes corvées, de tout service civil ou militaire, de tout tribut ou impôt, les phras sont, de plus, exempts de tous droits de douanes. Pour eux, pour eux seuls existe le laissez-faire, laissez-passer ! et ils ne se font faute d’en profiter, car jamais contrebandier espagnol n’a mis au service du libre échange un zèle aussi ardent que celui des talapoins se procurant et colportant, sous le couvert franc de leurs habits jaunes, toutes sortes de marchandises, même les plus prohibées. Les trentième et trente et unième prescriptions de leur règle disent, il est vrai : « Ne trafiquez pas ; ne vendez rien ; n’achetez rien. » Mais les bons phras ne sont pas négociants, pas plus que ne l’était le père de M. Jourdain. Seulement, de même que ce pseudo-gentilhomme, ils se connaissent en marchandises et