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est un autre Chinois qui n’a encore fait avec moi que la « campagne » de Petchabury. Il connaît assez bien l’anglais, non pas cet incompréhensible jargon de Canton, mais un assez bon anglais ; il m’est utile comme interprète, et surtout quand il s’agit de comprendre ces individus ayant entre leurs dents une énorme chique d’arec. En outre, en sa qualité de cuisinier, il est d’une grande ressource pour ajouter un plat de plus à notre ordinaire, ce qui arrive de temps en temps lorsqu’un cerf, un pigeon, voire un singe, a la mauvaise chance de se laisser surprendre, ou approche à portée de mon fusil. J’avoue que ce dernier gibier ne possède pas toute mon estime ; mais il fait les délices de mes Chinois, avec le chien sauvage et les rats. « Chacun son goût. » Il a aussi son petit défaut, ce pauvre Deng (mais qui n’en a pas dans ce monde de temps en temps il aime à boire un petit coup, et je l’ai souvent surpris, aspirant, à l’aide d’un tuyau de bambou, l’esprit-de-vin des flacons dans lesquels je conserve mes reptiles, on buvant au goulot de quelque bouteille de cognac, largesse de mon ami Malherbes. Dernièrement, pris d’une soif dévorante, pendant que j’étais sorti pour quelques instants seulement, il profita de mon absence pour ouvrir ma caisse, et saisissant, dans la précipitation de la crainte, la première bouteille qui lui tomba sous la main, il but tout d’un trait une partie de son contenu ; je rentrais comme il s’essuyait la bouche avec la manche de sa chemise. Vous dire les grimaces et les contorsions du pauvre diable, c’est impossible ; il criait de toutes ses forces qu’il était empoisonné ;