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à la ronde, et c’est, derrière l’auberge de maître Charmois, une rangée de véhicules de toute sorte, levant en l’air leurs timons comme des bras : cabriolets des fermiers riches, luxueux avec leurs harnais vernis, leurs nickels brillants, et aussi les tombereaux massifs où l’on charroie d’ordinaire les récoltes et où l’on a mis pour siège une botte de paille. L’auberge est bruissante de chansons et de vaisselle remuée : des servantes vont et viennent, le teint rouge et la face allumée autour de l’âtre où tourne une broche gigantesque. Dans un petit jardin, attenant à l’auberge, des vieux jouent aux quilles et discutent longuement les coups douteux. Il faut les voir, le genou ployé, lever la boule à la hauteur des yeux, comme pour viser les quilles, puis la lancer brusquement d’un vigoureux tour de reins, et quand elle est lâchée, ils font des gestes instinctifs et des tâtonnements de mains, comme pour la ramener au milieu du chemin, si elle s’égare. Des jeunes qui ne connaissent pas leur force et qui arrêteraient des taureaux par les cornes la lancent comme une bombe au delà du but, très loin dans la prairie. Et c’est alors un gros rire, où se mêle un peu d’admiration. Sur toute cette scène plane le sourire à demi ébauché de maître Charmois, un malin celui-là, ravi intérieurement de la journée qui promet un gros gain et qui passe dans les groupes, les bras pleins de bouteilles, la serviette sur l’épaule, tutoyant tout le monde.

Marthe était venue avec d’autres amies, par le chemin des bois.

Le printemps était seulement dans le ciel, rien ne l’annonçant sur la terre. Le soleil entrait largement