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Par les soirs lumineux, leurs silhouettes agrandies se détachaient nettement sur le fond glauque de la prairie, sur les grèves miroitantes. Ils ressemblaient à des poissons monstrueux échoués là, le ventre reposant sur la vase, sur l’herbe boueuse, et la barre de leur gouvernail, qui ne tournait plus, rayait tout un coin du ciel.

Les pêcheurs longeaient un de ces chalands. Le silence était profond, on n’entendait que le clapotis de l’eau courant le long de la nacelle, le bruit de l’aviron raclant régulièrement le bois du bordage.

Tout à coup un gémissement sortit du flanc de l’épave.

Cela montait, s’arrêtait, repartait, monotone et déchirant, et rien n’était triste comme cette plainte qui passait, inentendue, sur les eaux désolées.

Les pêcheurs hélèrent, frappèrent de l’aviron la paroi sonore ; on ne répondait pas.

Pierre, se hissant à la force des poignets, escalada le bordage.

Vers l’arrière, un étroit logis était ménagé sous l’entre-croisement des charpentes. Pierre ouvrit la porte et vit un vieillard étendu sur un lit de paille, les jambes enveloppées dans une couverture de laine grise.

— Holà, hé, ça ne va pas ?

Le vieux geignait, paraissait sur le point de rendre l’âme. Pierre le reconnut. C’était le père Guillaume, un batelier, qui depuis des années naviguait sur la rivière. Il raconta que son patron l’avait laissé là pour veiller sur l’épave, dont on pouvait tirer quelque argent et qu’il fallait garder des maraudeurs, toujours en quête de planches et de ferraille. La nuit précé-