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L’hiver vint tout d’un coup.

La chute des flocons de neige commença, emportés d’un vol cinglant et capricieux, comme des mouches. Puis ils tombèrent si dru qu’on ne voyait plus les côtes ; et les peupliers apparaissaient noyés dans une blancheur.

Puis la tombée de la neige cessa : le ciel s’éclaircit et les champs s’étendirent, leurs ondulations s’adoucissant encore sous cette couche glacée.

Des fumées montaient dans l’air froid, révélant la place où des villages étaient ensevelis. Jamais il n’était tombé tant de neige que cette année-là. Dans les jardins ouverts au vent, elle montait jusqu’au toit, murant les portes des « bougeries ». Les gens ne sortaient plus, se calfeutrant auprès du poêle de fonte. Le soleil rouge, sans rayons, descendait dans le couchant pareil à une plaque de cuivre.

L’air même paraissait mort, sans bruit. Les nuits étaient fourmillantes d’astres. Les vieux noyers se fendaient dans leurs vergers, et ils éclataient avec des craquements terribles.

Au milieu de cette blancheur immense étalée sur les terres, la Moselle roulait ses eaux jaunâtres, livides, plombées ; des glaçons tournoyaient dans les places tranquilles, froissant les tiges des roseaux secs.

Les deux pêcheurs étaient à leur poste.

Leurs blouses de toile, imbibées d’eau, étaient raides comme du carton ; Pierre sentait son poignet que le frottement de l’étoffe coupait peu à peu, et cela lui