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le regard indifférent du tabellion, qui leur griffonnait une quittance sur un bout de papier et les congédiait aussitôt, avec sans-gêne, ayant l’air de réserver son temps pour des affaires plus considérables.

Et ce sans-gêne, qui rendait les paysans respectueux d’ordinaire, suscitait chez Pierre, à chaque fois, un mouvement de mauvaise humeur.

On ne vivait pas, on ne mangeait pas, on se privait de tout. Le moindre objet à acheter, comme un vêtement neuf, un paquet de ficelle pour faire des filets, était la cause de calculs sans fins, de marchandages compliqués.

Il faudrait bien que ça finisse.

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Toute la journée s’était passée dans ces rêveries. Le soir tombait, le soir qui vient si vite après la Toussaint, qui apporte à l’âme toutes sortes de regrets et de tristesses.

Il était venu s’échouer dans la belle chambre qu’on trouve dans toutes les maisons lorraines. Une odeur d’ennui s’exhalait des meubles. Sur les murs, des photographies de parents défunts, accrochées sans symétrie, promenaient dans le vide leurs regards sans âme. L’ombre endeuillait le lit à baldaquin, les solives du plafond où l’on avait suspendu des branches de chasselas de la dernière récolte, des grappes fripées et poussiéreuses.

Pierre restait assis à la même place, les yeux errant dans le lointain, la tête perdue dans un tourbillon de désirs, le cœur gonflé de choses inexprimables.