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tinué, roulant cahin-caha à travers des scènes de jalousie, des ruptures, des reprises tendres qui fondaient les nerfs de Pierre, lui ôtaient toute énergie, le laissaient défaillant à l’idée de rompre sa chaîne. Des soleils éclatants flambaient sur l’eau ; la réverbération des houles lumineuses chauffait la cabine, faisait courir sur les planches une moire papillotante. Alors la femme le prenait dans ses bras, comme un enfant, l’attirait sur sa chair lourde, le soûlait de voluptés. Puis, un soir qu’il venait au rendez-vous, il avait trouvé la place vide, la drague disparue, la cabine envolée. Seules quelques herbes fluviales, visqueuses et molles, tournoyaient à l’endroit où il avait vécu des joies si puissantes. Et il était resté là jusqu’au soir, effaré, ne comprenant pas, luttant contre la démence qui montait en lui, avec le soir enténébrant les têtes difformes des saules.

Les autres payeraient pour la gueuse !

Et toutes ces aventures, qui avaient passé sur son cœur, l’avaient usé peu à peu, le rendant plus banal que la pierre d’un seuil qui s’effrite sous les pas. De toutes ces liaisons, il lui restait un invincible mépris de la femme, et il s’était habitué insensiblement à ne voir en elle qu’un objet de plaisir.

Sortir de ce pays ! La vie de jour en jour se faisait plus dure ; la misère tombait sur les campagnes, amenée par les grêles, les gelées précoces, les mauvais vouloirs du ciel, acharnés sur les hommes. Le bien ne se vendait plus et la main-d’œuvre était hors de prix. Toutes ces doléances, ressassées au long des jours par les paysans, créaient autour de Pierre une atmosphère de mécontentement et de malaise.