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accentuait la lenteur cassée de sa démarche, et son dos courbé avait une expression d’énergie indomptable.

Pierre détournait la tête quand il passait.

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Il pouvait être cinq heures de l’après-midi, quand on largua l’amarre de la Reine des eaux, tout étant prêt pour le départ. Une fraîcheur de brise mourante tombait sur la rivière, mettant dans la voile brune des claquements sonores, plissant la surface du flot d’un frémissement de petites vagues. Le lourd chaland se mouvait avec lenteur, comme s’il eût abandonné à regret la petite anse où il avait dormi sur l’eau, pendant de longs jours. Puis, envahi par la vie fuyante du flot, il glissa doucement, il accéléra sa marche, il partit dans les remous.

À l’entrée du canal, on attela les deux forts percherons, nourris d’avoine. Ils s’ébrouaient, piaffaient, ne tenaient pas en place, dans une impatience de dépenser leurs forces, après des jours passés dans l’écurie flottante. Leurs flancs étaient ceints d’une résille de ficelle pour les garantir des taons, qui rôdent sur les eaux dormantes ; chaque mouvement faisait tinter les sonnailles attachées à leurs colliers de laine bleue, et le clair carillon s’envolait sous les petits ormeaux du chemin de halage.

Le père Maquet criait, jurait, tournait autour d’eux, le fouet à la main. Puis le chaland se mit à glisser sur l’eau, la corde s’enfonçait, ressortait, fouettant le flot, et coulait doucement le long de la berge, en inclinant les panaches soyeux des roseaux.

Debout au gouvernail, les sens tendus et frémissants, Pierre respirait avec une ivresse confuse toutes les