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cassé et plus misérable. Il s’attendrissait devant ce vieux tremblant qui l’observait avec défiance, ayant l’air de se douter de quelque chose.

Mais il se fortifiait dans sa résolution, son égoïsme lui faisant trouver des raisons pour la justifier. D’abord ce départ n’était pas définitif, et la Reine des eaux reviendrait souvent dans ces parages ; et puis, qui sait, si tout marchait bien, il pourrait aider le vieux, payer ses dettes, et l’emmener là-bas, dans le pays plantureux, où le vieux aurait sa maison et fumerait sa pipe, en arrosant ses salades.

Mais il fallait parler, se décider, car le moment pressait. Justement ils achevaient de manger leur soupe, assis dans l’ombre transparente d’un frêne. Ayant fermé son couteau, le vieux poussa un soupir de satisfaction, et les yeux perdus dans la douceur bleuâtre des lointains, il se mit à vanter le repos du chez soi, après une campagne de pêche aussi fatigante.

Il parlait lentement, jetant par moments du côté de Pierre un coup d’œil méfiant et perspicace.

Alors Pierre, avec toutes sortes de précautions, lui fit observer qu’il serait préférable de gagner de l’argent, pendant l’hiver. Que ferait-il là-bas ? il s’ennuierait. Justement une belle occasion se présentait : un plus malin saurait en profiter.

Le vieux, pris d’appréhension, lui demanda des explications d’une voix bégayante.

— Oui, un bateau allait partir et on lui avait fait des propositions…

Alors le vieux éclata tout d’un coup :

— Me prends-tu pour un imbécile et crois-tu que je ne sache pas ce que parler veut dire ? Comme si ton