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ment sans fin. À des tournants, la rivière apparaissait, sous un frémissement de soleil, coupée de la traînée blanche des barrages dont on n’entendait pas la voix.

Midi sonna, le ciel bleu pâlit, devint tout blanc sous la flambée des rayons. Rien ne bougeait : les pierres des premiers plans rongées de mousses, les feuilles fines des coudriers, les brins d’herbe d’où montait un chant confus d’insectes, pareil à la vibration monotone de la lumière.

Puis de grands coups de vent passèrent, venus de l’horizon, pareils à la respiration d’une poitrine géante, éveillant les choses éternelles, les roches, les champs, les bois, dont les masses roulèrent confusément. Apportant les odeurs des champs exaspérés par le soleil, l’odeur des fleurs qui ne durent qu’un jour et celles des arbres qui vivent des siècles, le vent les mêlait, les froissait, les éparpillait en lambeaux dans le vide immense, où des buses, dans leur vol planant, décrivaient lentement de grands cercles.

Des cloches sonnèrent à la fois, dans tous les replis du sol. Les unes grêles, au son fêlé, répétant les mêmes notes de leurs voix chevrotantes, semblaient le radotage de vieux tombés en enfance ; d’autres, cuivrées, jetaient dans le vide un ouragan sonore qui balayait le plateau lorrain. D’autres sons encore montaient le long des parois verticales de la vallée, comme du fond d’un puits, éveillant des échos. On eût dit que toute cette musique, qui grandissait parfois dans les bouffées du vent et parfois s’éteignait, était l’âme ardente des champs, qui se révélait, dans le soleil.