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bêtes, aux endroits où l’humidité du sol se conserve plus longtemps.

Cette atmosphère brûlante, qui enfiévrait Pierre, lui fondait les nerfs, le laissait sans force pour lutter contre l’obsession grandissante de cette passion. Ces soirs-là, les yeux de la fille brûlaient d’une flamme étrange ; le fleuve lourd des ténèbres semblait ruisseler dans sa chevelure ; elle apportait avec elle dans les plis de sa robe, dans la moiteur odorante de sa chair, toutes les senteurs de la nuit chaude, tous les désirs épars sur les champs assoupis, sur les fleuves qui glissaient dans l’ombre.

Puis des orages survinrent, promenant des nuées bleuâtres ou rosées qui donnaient au ciel, à travers les branches, l’éclat changeant d’une coquille de nacre. Ils rôdaient à l’horizon sans grondements de tonnerre, laissant tomber de petites pluies douces, qui rafraîchissaient la terre jusque dans ses entrailles. Alors elle respirait et les herbes flétries se relevaient, et la lune se levait sur les vignes mouillées, versait dans le val une inexprimable tendresse.

Un matin Thérèse, qui l’avait attendu dans la ruelle, lui dit à voix basse : « Viens ce soir au bateau ; nous pourrons causer, car nous serons seuls. » La journée passa. Se levant des eaux lumineuses, le doux fantôme évoqué harcelait Pierre de sa poursuite ; dans les houles flottait l’éclat troublant des yeux noirs, et les saules, dans un abandonnement de leurs feuillages, semblaient des chevelures dénouées, trempant dans le fleuve.