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penché vers sa femme, il lui disait à voix basse : « Donne-moi de la chair, de la chair, de la chair. »

Pierre et Marthe étaient assis à une petite table, avec les nouveaux époux. Un honneur qu’on leur faisait, parce qu’ils étaient amis des conjoints.

Marthe ne disait rien ; elle regardait dans le vide, devant elle, souriante. Ses idées par moments tourbillonnaient et il se faisait un grand vide dans sa tête. Tous ces gens bien vêtus, ces tables garnies, ces propos joyeux qu’on échangeait, lui donnaient l’illusion que c’étaient ses noces à elle, qu’on célébrait.

Les solives énormes du plafond étaient enjolivées de cannelures, finement ciselées. Un convive qui leva la tête, en fit la remarque : alors le père de Jeanne expliqua que ça venait de l’ancien temps, du temps des seigneurs. La ferme était un château que son grand-grand-père avait acheté, au moment de la Révolution. Tous les paysans regardaient ce travail, hochant la tête d’un air satisfait. Ils se sentaient heureux d’être assis là, le ventre à table, de festoyer à la place où s’étaient carrés leurs maîtres, ceux dont ils avaient maintenant les maisons et les terres.

On avait mis les enfants à une seule table, tout au fond de la salle. Tout d’abord ils se tinrent tranquilles, ayant des serviettes nouées au cou, qui leur faisaient, derrière la tête, de grandes cornes blanches. Puis comme le vin les grisait, ils se mirent à frapper sur les bouteilles avec des couteaux. De temps à autre une femme en robe de soie bruissante se levait de table, et les admonestait.

On était au dessert et les chansons allaient leur train. On se partageait des surprises où il y avait des bon-