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touffes d’aulnes, qui avaient poussé sur les talus, leur cinglèrent le visage de leurs pousses.

Ils débouchèrent dans les « mortes ». Une étendue d’eau profonde et mystérieuse s’ouvrait là, qui paraissait plus étrange au sortir de la grande rivière pleine de mouvement, du glissement clair des eaux. Une eau très calme, très noire entre des rives de terre croulante, où des quartiers de gazon avaient roulé, rongés par le travail des eaux, une eau inquiétante par sa profondeur infinie, se perdant dans les tournants brumeux, sous des saules penchés et de grands roseaux aux panaches soyeux, une eau silencieuse et immobile où les feuilles dentelées des frênes reflétaient exactement leurs fines découpures, sans qu’aucun coup de vent ne vînt les animer d’un frisson de vie murmurante.

Et il y avait dans ces eaux qui dormaient sous l’immobilité de la lumière et du silence, il y avait quelque chose qui attirait à la fois et qui épouvantait, une sensation indéfinissable de mystère et d’horreur.

Marthe, penchée sur le bordage, regardait le fond qui fuyait, d’un mouvement lent et continu à mesure que la barque avançait sur les eaux.

Du fond tapissé de mousses spongieuses, montaient ces traînées verdâtres, ces végétations visqueuses qui sont la pourriture de l’eau et qui, se ramifiant en arborescences capricieuses, s’ouvraient aussi parfois comme d’étranges portiques, où des nuées de poissons tournoyaient, mis soudain en fuite par le bond d’une perche tigrée. À d’autres endroits, sur le fond de vases molles, des tanches se promenaient lentement, se retournant d’un mouvement brusque de leurs queues,